Israël: Netanyahou inculpé mais candidat à sa propre succession


La réaction toujours attendue de Michel Warschawski après l'inculpation du (toujours) Premier Ministre israélien !

 

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SIMPLEMENT CORROMPU OU AUSSI MALADE ?

L’agressivité avec laquelle Benyamin Netanyahou a attaqué l’ensemble du système – police, parquet, justice et médias confondus – après l’annonce par le procureur général de son inculpation pour corruption et abus de pouvoir nous oblige à nous demander si celui qui est encore, mais pas pour longtemps, premier ministre n’a pas complètement pété les plombs.

 

Est-ce un paranoïaque qui nous parle, avec des larmes dans les yeux, d’un vaste complot contre lui et sa famille ? Est-ce un mégalomane qui ne se considère pas comme le commun des mortels, mais comme un monarque qui, à l’instar de Louis XIV, pense que « l’État c’est moi » ? Est-ce que le personnage qui habite depuis bien trop longtemps la résidence de la rue Balfour, n’est pas seulement corrompu, mais gravement malade ? Est-ce que la démence qui l’entoure dans sa maison – un fait que personne ne nie plus aujourd’hui – l’a contaminé ? Ou est-il l’otage de cet entourage proche, dans le plein sens du terme (on est en droit de savoir ce qu’il y’a dans la « vidéo brulante » (1) ainsi que dans l’accord secret dicte par sa femme Sarah (2) ?

 

Il est indiscutable que l’homme qui considère la résidence de la rue Balfour comme sa maison a lui aime les gâteries, surtout les cadeaux chers : des boites de gros cigares (et des caisses de champagne rose pour madame), les hôtels de luxe, un avion officiel spécialement aménagé pour le satisfaire, être l’hôte de milliardaires. Netanyahou raffole aussi de signes extérieurs de pouvoir : de l’immense rideau qui sépare sa résidence du commun des mortels a la longue et bruyante caravane de voitures qui l’’accompagne dans tous ses déplacements.

C’était inscrit sur le mur : celui qu’on peut acheter avec des boites de cigares (dossier 1000), se piégera tôt ou tard dans une affaire de pots de vin de millions d’euros (dossier 3000 sur les commissions reçues dans l’achat de sous-marins allemands). Le luxe et le bling-bling à la Sarkozy, si on y ajoute une radinerie légendaire, c’est souvent, pour un homme d’État, la pente glissante vers la corruption.

 

Pourtant, ce qui doit nous inquiéter ce n’est pas tant le gout de luxe du premier ministre et les moyens illégaux (selon les chefs d’accusation) pour se remplir les poches, mais sa grande popularité, et le large soutien exprime dans la rue, même après sa mise en accusation. Les normes de Netanyahou sont de plus en plus les normes de la société israélienne. Ce qui m’inquiète ce sont ses supporters qui l’appellent « le chef », sans remarquer qu’en allemand cela fait « notre führer ».

 

Dans sa corruption généralisée, Netanyahou est un phénomène sans précèdent. Si plusieurs de ses prédécesseurs ont été accusés de (et condamnés pour) corruption, jamais auparavant cela ne s’est traduit par une volonté de légitimer ces pratiques et le choix cynique d’accuser les institutions et de mener une campagne virulente contre un soi-disant complot de ces institutions contre celui que le peuple a démocratiquement choisi. Unique dans l’histoire d’Israël, mais en phase avec l’esprit du temps : Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie, Trump aux États Unis – tous se présentent comme des antisystèmes, démocratiquement élus… pour affaiblir la démocratie et les droits civiques, en usant jusqu’à la corde les préjugés xénophobes et racistes (au point que le Président de l’État a dû rappeler a Netanyahou que les citoyens arabes avaient les mêmes droits que les autres). L’odeur nauséabonde qui émane de la rue Balfour se confond avec celle de notre époque, aux quatre coins de la planète.

 

(MW traduit de mon blog en hébreu 26.11.2019) 

 

A suivre l'analyse de René Backmann...  


Israël s’enfonce dans une double crise politique inédite : alors que le pays, toujours à la recherche d’un gouvernement, s’apprête à organiser un troisième scrutin législatif en moins d’un an, le premier ministre sortant vient d’être inculpé de « corruption », « fraude » et « abus de confiance ». Mais n’envisage pas de démissionner ou de renoncer à briguer un nouveau mandat.

 

PROCHE-ORIENT L'ANALYSE
de René Backmann (In Médiapart 22 nov 2019)

 

https://www.mediapart.fr/journal/international/221119/israel-netanyahou-inculpe-mais-candidat-sa-propre-succession

 

Sauf miracle politique dans les trois semaines à venir – peu probable, même en Terre sainte –, les Israéliens vont devoir retourner aux urnes, au printemps 2020, pour la troisième fois en moins d’un an pour élire une assemblée législative. Les deux précédents scrutins, le 9 avril et le 17 septembre, n’ont pas permis aux vainqueurs de réunir à la Knesset une majorité de 61 députés sur 120 et de constituer un gouvernement.

En septembre comme en avril, la représentation nationale issue des urnes a révélé une société si divisée et un échiquier politique si fractionné par le scrutin proportionnel qu’aucune coalition gouvernementale durable ne pouvait être mise sur pied.

 

La volonté d’en finir avec Benjamin Netanyahou, présente de la gauche à la droite du spectre politique israélien, jusqu’au sein de son propre parti, le Likoud, ne constitue pas, jusqu’à présent, une base commune suffisante pour ouvrir la voie à une solution alternative. Même si celle qu’incarne l’ancien chef d’état-major Benny Gantz offre, avec trois ex-généraux parmi ses dirigeants, toutes les garanties militaires requises par l’électorat israélien.

 

Après la mise en examen jeudi 21 novembre 2019 dans l'après-midi de Netanyahou pour « corruption », « fraude » et « abus de confiance » dans trois dossiers distincts, le crédit du premier ministre risque d’être durablement atteint, quelle que soit sa stratégie de défense. Et la configuration politique actuelle favorable au statu quo peut donc évoluer. Mais, compte tenu des multiples recours légaux mobilisables et de la ruse politicienne éprouvée de celui que ses partisans appellent « Bibi », il serait aventureux d’annoncer que « le changement, c’est maintenant ».

 

Car l’analyse des deux scrutins et des négociations politiques qui ont suivi révèle un système électoral inadapté et un jeu politique bloqué. Situation problématique et malsaine, dangereusement corrosive pour les institutions démocratiques, qu’un troisième scrutin, fondé sur les mêmes principes et mettant en scène les mêmes acteurs, risque fort de ne pas résoudre.

Arrivé en tête, de justesse, en avril avec 35 députés et 26,86 % des voix, le premier ministre sortant Benjamin Netanyahou n’avait pu réunir plus de 56 députés de droite et d’extrême droite dans une coalition gouvernementale. Or, pour transformer en coalition de gouvernement la majorité parlementaire de droite et d’extrême droite, théoriquement forte de 65 députés (sur 120) issue du scrutin du 9 avril, Netanyahou devait impérativement ajouter à ses élus du Likoud les 5 élus du parti laïque nationaliste Israël Beitenou, issu de l’immigration russe, et les 16 élus des partis Shas et Judaïsme unifié de la Torah (UTJ) qui représentent les 10 % de juifs ultraorthodoxes au sein de la population israélienne. 

 

Mais le fondateur et tête de liste d’Israël Beitenou, l’ancien videur de boîte de nuit Avigdor Lieberman, exigeait, pour participer au gouvernement, que soit intégré à l’accord de coalition le texte d’un projet de loi qu’il défend depuis près de dix ans et dont la première lecture a été votée en juillet 1998. Cheval de bataille politique de Lieberman, qui dirigea le bureau de Netanyahou de 1996 à 1997 avant d’être son ministre de la défense de 2016 à 2018, puis de se brouiller avec lui, ce texte abolissait l’exemption systématique de service militaire dont bénéficient des dizaines de milliers d’étudiants d’écoles talmudiques. Son adoption était naturellement jugée inacceptable par les ultraorthodoxes de UTJ dont la participation à la coalition gouvernementale était indispensable au premier ministre. 

 

Car Netanyahou avait besoin d’une majorité stable pour poursuivre sa politique de colonisation et d’annexion des territoires palestiniens. Et surtout pour faire adopter deux lois destinées à assurer sa protection juridique et politique. L’une devait lui offrir une immunité législative face aux poursuites engagées contre lui dans les trois affaires politico-financières pour lesquelles il vient d’être inculpé. L’autre devait réduire les prérogatives de la Cour suprême, qu’il jugeait trop intrusives et encombrantes. 

 

C’est pourquoi au cours des dernières heures précédant le vote d’auto-dissolution, il avait tout tenté ou presque, même auprès de certains adversaires politiques, pour les inciter à déserter leur camp et à rejoindre sa coalition. Netanyahou était même prêt, assurent plusieurs commentateurs politiques, à renoncer à ses deux lois « protectrices » en échange de l’appui de certains travaillistes. Convaincu que même après une inculpation, il pourrait rester au pouvoir, ainsi que le permet la loi. 

 

Incapable d’échapper au chantage de Lieberman – accusé « d’appartenir désormais à la gauche » – et de provoquer chez les travaillistes les ralliements ou la scission qui l’auraient sauvé, « Bibi », désormais dépouillé de sa réputation d’invincibilité, s’était finalement résolu à demander à sa majorité ce qu’elle ne pouvait lui refuser : voter la dissolution de la Knesset par 74 voix contre 45. 

 

Plutôt que de laisser son adversaire, l’ancien chef d’état-major Benny Gantz, à la tête du nouveau parti de centre droit « Bleu et blanc », qui avait obtenu lui aussi 35 députés, mais avec 26,15 % des voix, tenter sa chance à son tour, Netanyahou avait préféré courir le risque d’un nouveau scrutin. Sans imaginer, apparemment qu’il pourrait, cette fois être pris de vitesse par la justice et devancé dans les urnes.

 

C’est pourtant ce qui s’est produit lors du scrutin du 17 septembre, où Benny Gantz et son parti ont obtenu 33 députés et 25,95 % des voix alors que le Likoud n’obtenait que 32 députés et 25,10 % des voix. Les autres résultats confirmaient une certaine stabilité dans l’éparpillement des voix mais révélaient le succès de la Liste unie, représentant les 20 % d’électeurs « arabes israéliens », c’est-à-dire Palestiniens citoyens d’Israël. Avec 13 députés, la Liste unie, conduite par l’avocat Ayman Odeh devenait le troisième parti d’Israël, devant les orthodoxes séfarades du Shas et les nationalistes laïques de Israël Beitenou.

 

« Netanyahou a privilégié ses intérêts personnels »

Bien qu’il n’ait remporté l’élection ni en voix ni en sièges, c’est à Netanyahou que le chef de l’État Reuven Rivlin avait alors demandé de constituer un gouvernement. Au sein de la nouvelle Knesset, le chef du Likoud avait en effet obtenu le soutien de 55 députés, pour diriger une nouvelle coalition, contre 54 en faveur de Gantz. Et Gantz avait le handicap pesant, dans les mœurs politiques israéliennes, où seules les « voix juives » comptent, d’avoir des députés arabes parmi ses soutiens.

 

Au bout d’un mois de tractations, Netanyahou avait fini par jeter l’éponge après avoir tout tenté, ou presque, pour conserver le pouvoir. Gantz avait rejeté le gouvernement d’union nationale, avec présidence tournante, car Netanyahou réclamait d’occuper en premier le poste de premier ministre, ce qui était inacceptable pour son vainqueur. Par ailleurs, le chef de Bleu et blanc avait affirmé à plusieurs reprises pendant sa campagne que son parti ne siégerait pas dans un gouvernement dirigé par un premier ministre sous le coup d’une inculpation pour corruption. Et Lieberman avait refusé d’apporter ses 8 députés à une coalition dans laquelle les partis religieux – Shas et Judaïsme unifié de la Torah (UTJ) – tenaient une place et un rôle majeurs.

 

Après avoir répété qu’il ferait tout son possible pour éviter un troisième scrutin, le président de l’État avait alors chargé Benny Gantz de former, à son tour, un gouvernement. On sait depuis mercredi qu’à l’expiration du délai de 21 jours fixé par la loi fondamentale, l’ancien chef d’état-major, lui aussi, a dû admettre son échec, pour des raisons voisines ou symétriques de celles invoquées par son rival. « Je me suis heurté à un mur composé des perdants qui ont tout fait pour empêcher les citoyens israéliens de bénéficier d’un gouvernement sous ma direction, confiait-il mercredi. Netanyahou a privilégié ses intérêts personnels. Il doit se rappeler que nous sommes encore en démocratie et que la majorité du peuple a voté pour une politique différente de la sienne. Le peuple ne peut pas être l’otage d’une minorité extrémiste… »

 

Souvent défini dans le monde politique israélien comme un « faiseur de rois » en raison de son aptitude à compléter les coalitions pour former des gouvernements, Lieberman est surtout apparu au cours de ce dernier épisode comme un empêcheur de constituer des coalitions où il n’a pas un rôle majeur. À Gantz, qui lui proposait d’entrer dans une coalition minoritaire allant jusqu’au centre gauche et soutenue de l’extérieur par les partis de la Liste unie arabe, il a opposé un refus catégorique car il tient les partis arabes pour une « cinquième colonne » qui cherche à détruire Israël. 

 

À Netanyahou, qui lui proposait d’entrer dans une coalition étroite de droite, il a opposé le même refus car il lui reprochait de ne pas se libérer de ses alliés des partis religieux ultraorthodoxes. Tout se passe comme si Lieberman, qui ne peut pas n'avoir pas mesuré la lassitude et l’irritation que provoquent aujourd’hui les religieux au sein de la société israélienne, rêvait de diriger demain le grand parti laïque que le pays attend. Et préparait le terrain en posant à gauche et à droite ses conditions, assuré que le temps joue en sa faveur.


Pour la première fois dans l’histoire politique d’Israël, le chef de l’État, confronté à deux échecs successifs dans la tentative de former un gouvernement, s’est tourné jeudi vers le président de la Knesset pour lui demander de trouver parmi les députés, d’ici le 11 décembre, un élu disposant du soutien d’au moins 61 collègues, qui serait prêt à former une coalition de gouvernement. L’intéressé aurait alors 14 jours pour arrêter la composition de sa coalition.

 

Rien, théoriquement, n’empêche Gantz ou Netanyahou de proposer leur candidature s’ils peuvent réunir en trois semaines 61 signatures de soutien. Le premier ministre sortant était, paraît-il, déjà à l’œuvre lorsque le procureur Avichaï Mandelblit a annoncé sa décision. Premier chef de gouvernement israélien en exercice à être mis en examen, Netanyahou, qui dénonce un "coup d'Etat" ourdi par la justice et appelle à "enquêter sur les enquêteurs" a déjà indiqué qu’il ne démissionnerait pas. Il n’y est d’ailleurs pas tenu tant qu’il n’a pas été jugé et condamné et que toutes les voies de recours n’ont pas été épuisées. On peut donc imaginer qu’il va dans les semaines qui viennent tout faire pour tenter de rester au pouvoir. Soit en obtenant les signatures de 61 députés pour être chargé, une nouvelle fois, de constituer le gouvernement. Soit, en cas d’échec de cette ultime tentative, en préparant le prochain scrutin, confronté au rappel incessant de ses turpitudes par ses adversaires. C’est-à-dire dans une position politique de plus en plus difficile.

 

Même l’annonce surprise lundi par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, selon laquelle les États-Unis ne considèrent plus comme « illégales » au regard du droit international les colonies israéliennes de Cisjordanie, ne semble pas de nature à changer la donne politique. Et à apporter au premier ministre sortant un soutien décisif. Ni la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël, ni le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, ni la reconnaissance de l’annexion du Golan, gestes présentés par Netanyahou comme les fruits de ses relations amicales avec Trump, n’ont pu lui offrir la victoire électorale qu’il attendait en avril et en septembre. Pire : entre les deux scrutins, son parti a même perdu du terrain.

 

Les experts des relations américano-israéliennes ont d’ailleurs observé que l’annonce de Pompeo était au moins autant à usage électoral domestique – en direction des électeurs évangélistes de Trump, voire de Pompeo dans l’Arkansas – qu’à usage international où l’écho a été modeste ou très négatif. L’Union européenne a ainsi rappelé immédiatement sa position « claire et inchangée » : « Toute activité de colonisation est illégale au regard du droit international et compromet la viabilité de la solution à deux États et les perspectives d’une paix durable. »

 

Plus gênant pour Netanyahou, les « Commandants pour la sécurité d’Israël », association qui rassemble des officiers de réserve ou à la retraite, d’anciens membres du Mossad, du Shin Bet ou de la police, ont adressé au premier ministre une lettre publique dans laquelle ils relèvent que « toute extension de la souveraineté d’Israël pourrait déclencher une réaction en chaîne dont ni vous ni votre gouvernement ne pourrait contrôler l’ampleur et les conséquences ». Et des intellectuels israéliens de renom viennent de publier un appel (on peut lire ici le texte intégral publié dans Mediapart le 14 novembre) dans lequel ils affirment que « l’occupation est moralement corrosive, stratégiquement à courte vue et extrêmement préjudiciable à la paix ».

 

En d’autres termes, hors du noyau dur des colons qui soutiennent Netanyahou ou ses alliés de l’extrême droite, l’appel à un développement de la colonisation, sans parler de l’aspiration à l’annexion, paraît s’étioler. Selon le dernier « Peace index » mensuel de l’université de Tel-Aviv, 78 % des Israéliens estiment que la poursuite du conflit avec les Palestiniens nuit à Israël. Et 76 % estiment que les dirigeants ne font pas tout ce qu’ils pourraient faire pour éviter les affrontements. 

 

Gantz, qui se déclare résolu à rompre avec les pratiques et l’idéologie « extrémiste » de Netanyahou, est-il à l’écoute de ces évolutions de la société israélienne ? Profitera-t-il du discrédit du premier ministre pour affirmer sa différence ? Si différence il y a au-delà de l’éthique personnelle et des méthodes de gouvernement… La bataille politique qui s’annonce, pour tenter d’éviter un troisième scrutin ou pour le préparer s’il est inévitable, va le contraindre à affronter un Netanyahou blessé par son inculpation, mais sans doute plus vindicatif que jamais. Ce qui ne présage rien de bon pour les Israéliens comme pour les Palestiniens.