L’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes est un nouveau coup de poignard dans le dos des Palestiniens


Dans le nouveau monde arabe, la Palestine n’existe pas. C'est le constat que l'on peut malheureusement faire à la lecture de cet article d'Anthony Samrani publié par l'Orient Le Jour à propos du récent accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis annoncé  triomphalement par Donald Trump, le jeudi 13 août. Une fois de plus, la France, par la voix de Jean-Yves Le Drian, s'est félicitée  de cet accord. « La décision, prise dans ce cadre par les autorités israéliennes, de suspendre l'annexion de territoires palestiniens est une étape positive, qui doit devenir une mesure définitive » a déclaré le ministre français des Affaires Etrangères et Netanyahou de lui répondre, on ne peut plus clairement : “ J’ai apporté la paix, je réaliserai l’annexion ”...

 

https://www.lorientlejour.com/article/1229455/dans-le-nouveau-monde-arabe-la-palestine-nexiste-pas.html

 

La normalisation des relations émirato-israéliennes s’inscrit dans une évolution régionale entamée il y a plus d’une décennie.

 

Combien de tournants stratégiques ou d’annonces historiques une région peut-elle supporter en une décennie ? En dix ans, le Moyen-Orient a connu les printemps arabes, l’éclosion puis la chute de l’État islamique, l’intervention russe en Syrie, la conclusion puis le retrait américain de l’accord nucléaire iranien. Si l’on remonte un peu dans le temps, on peut ajouter l’intervention américaine en Irak pour réaliser à quel point la région vit sur une plaque tectonique depuis le début du XXIe siècle, et encore plus depuis 2011. Le Moyen-Orient est en perpétuel reconfiguration depuis des années, ce qui doit inviter à la prudence au moment de qualifier, pour la énième fois, un évènement de tournant stratégique.

 

L’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis annoncé jeudi rentre-t-il dans cette catégorie comme le pense, semble-t-il, la majorité des commentateurs ? La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît. Si le timing de l’annonce a surpris tout le monde et que le symbole est fort, l’officialisation de l’idylle israélo-émiratie ne va pas nécessairement changer la donne régionale. L’évènement est incomparable, à titre d’exemple, avec la visite de Sadate à Jérusalem en novembre 1977. Les Émirats n’étaient pas en guerre avec Israël et pas non plus particulièrement actifs – c’est le moins que l’on puisse dire – dans la défense des intérêts palestiniens. Ils n’ont pas « abandonné la cause palestinienne » dans le sens où cela fait des années que le dossier n’est pas considéré comme une priorité régionale pour Abou Dhabi. Les Émirats craignaient qu’une annexion de pans de la Cisjordanie sonne le glas de leur rapprochement avec l’État hébreu. Ils ont ainsi décidé d’utiliser leur principal levier vis-à-vis d’Israël – la normalisation – en échange d’un arrêt, ou d’un simple report si l’on en croit Benjamin Netanyahu, de l’annexion. Ils ont estimé que le jeu en valait la chandelle. Il est permis d’en douter. Rien n’indique que Benjamin Netanyahu était prêt à sauter le pas de l’annexion tellement le dossier est complexe tant pour des raisons internes qu’internationales. Rien ne permet d’affirmer non plus que le projet d’annexion ne sera pas ressuscité par le gouvernement israélien dans quelques mois. Abou Dhabi va certainement observer cette évolution de très près et prendre son temps dans le développement de sa relation avec Israël. Mais on peut tout de même arguer que l’émirat a bradé sa normalisation. 

 

Monde arabe qui a déjà changé

Benjamin Netanyahu est le grand gagnant de cette opération. Le rapprochement avec les monarchies du Golfe est l’un de ses principaux objectifs sur la scène diplomatique puisqu’il a le double intérêt de cimenter un front anti-iranien et d’isoler encore un peu plus les Palestiniens. Le Premier ministre trouve en plus une excuse parfaite pour ne pas mettre en exécution ses projets d’annexion, dont il ne veut pas par réalisme, mais qu’il est obligé de soutenir pour attirer les voix de l’extrême droite. Pour le Premier ministre israélien, la victoire sera encore plus belle si le « coming-out » émirati provoque un effet domino dans le Golfe. Bahreïn pourrait bientôt suivre.

 

Mais la normalisation avec le Golfe prendrait une toute autre dimension si elle impliquait l’Arabie saoudite. Cela semble toutefois peu probable à court terme. Le roi Salmane est attaché à la cause palestinienne tout comme une partie de l’opinion publique saoudienne, et le royaume doit en plus prendre en compte des considérations religieuses en tant que gardien des Lieux saints – la mosquée al-Aqsa de Jérusalem est considérée comme le troisième lieu saint de l’islam. Plus qu’un tournant, cette dynamique politique qui voit les monarchies du Golfe se rapprocher d’Israël au grand jour est l’affirmation d’un monde arabe qui a déjà changé. Les Émirats ont pris acte de ce changement et assument le fait que l’Iran, la Turquie ou encore les démocrates arabes sont pour eux des dangers plus menaçants que l’État hébreu. Le monde arabe est aujourd’hui rythmé par les interventions de puissances non arabes aux agendas impérialistes : l’Iran, la Turquie et, dans une moindre mesure, la Russie. Le géant égyptien se transforme d’année en année, malgré ses 100 millions d’habitants, en un second couteau. La Syrie est en ruines. L’Irak est en guerre de façon discontinue depuis plus de 15 ans. Les monarchies du Golfe sont dirigées par de jeunes loups condamnés à réinventer leur pays pour préparer l’après-pétrole sous risque de disparaître.

 

La Palestine n’est plus un sujet prioritaire pour les pays du monde arabe. La normalisation avec Israël est encore un tabou pour la majorité d’entre eux. Mais elle ne change pas fondamentalement la donne : les Palestiniens sont plus seuls que jamais.

 

Sur le même sujet on peut lire avec intérêt les articles suivants :

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/14/les-palestiniens-oublies-dans-l-entente-entre-israel-et-les-emirats-arabes-unis_6048950_3210.html

 

https://www.ouest-france.fr/monde/israel/nouvelle-ere-etape-historique-trahison-les-reactions-a-l-accord-entre-israel-et-les-emirats-arabes-6936992

 

https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/emirats-israel-mbz-annexion-cisjordanie-iran


Communiqué de l’AFPS

L’accord entre les Emirats arabes unis et Israël : une dangereuse supercherie

 

L’accord entre les Émirats arabes unis et Israël sous l’égide des USA, officialisé jeudi 13 août pour une signature annoncée début septembre, a fait l’objet d’une mise en scène le présentant comme un « accord de paix » et un « jour historique ».

 

Rien de surprenant pourtant de la part des Émirats arabes unis, qui développent depuis des années des coopérations plus ou moins secrètes avec Israël et se sont illustrés par leur servilité vis-à-vis des États-Unis en soutenant dès le départ le plan Trump.

 

Cet accord, qui « normalisera » les relations diplomatiques entre Israël et les Émirats, constitue cependant une transgression majeure vis-à-vis de l’initiative de paix arabe, un accroissement des risques de guerre et une trahison de plus vis-à-vis des Palestiniens.Proposée en 2002 et confirmée en 2007 par le Sommet de la Ligue arabe, l’initiative de paix arabe proposait une normalisation complète des relations entre Israël et les pays arabes en échange du retrait total d’Israël des Territoires occupés en 1967 et d’une solution viable pour les réfugiés palestiniens. En normalisant ses relations avec Israël sans qu’aucune de ces conditions ne soit remplie, les Émirats tournent le dos à cette initiative et compromettent les chances de paix qu’elle pouvait porter.

 

C’est aussi le risque de guerre contre l’Iran, une guerre qui reste un objectif stratégique d’Israël, qui se trouve accru par cet accord.

 

C’est un accord pour lequel les Palestiniens n’ont pas été concertés, et que la direction palestinienne a fermement condamné. La prétendue « suspension » de l’annexion est une vaste supercherie. Elle permet d’habiller les difficultés que Netanyahou et Trump avaient rencontrées pour la mise en œuvre de leur plan depuis le 1er juillet, mais Netanyahou annonce clairement qu’il ne renonce pas à l’annexion.

 

En attendant de décréter formellement l’annexion, Israël la met en œuvre sur le terrain, et continue à tranquillement mener ses actions dévastatrices et à poursuivre par la force et dans l’illégalité colonisation, annexion, blocus et bombardement de Gaza, déplacements forcés, destructions de maisons, emprisonnements et meurtres de Palestiniens, tout en développant la situation d’apartheid.

 

Comment le gouvernement français a-t-il pu « se féliciter » de l’annonce de cet accord, parler d’une « étape positive » et appeler dans ces conditions à la « la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens » ? Comment le président Macron a-t-il pu saluer une « décision courageuse » des Émirats arabes unis et même, selon certaines sources, faire pression sur le président palestinien pour qu’il change de position ? Nous aurions pu attendre autre chose de la diplomatie française et du président de la République, et les appelons à des positions plus respectueuses des droits et de la volonté du peuple palestinien.

 

L’Association France Palestine Solidarité dénonce fermement cet accord en trompe l’œil. Elle appelle tous les citoyens à renforcer leur mobilisation pour le peuple palestinien et demande aux États de le protéger, et d’imposer par des actes le Droit et les résolutions internationales qui constituent la seule perspective d’une paix réelle.

 

Le Bureau national de l’AFPS

17 août 2020