Un vote peu glorieux pour les défenseurs de la résolution Maillard...


MARDI 3 DÉCEMBRE 2019

Communiqué de l’AFPS

La « résolution Maillard » : un texte ambigu et dangereux adopté par une Assemblée nationale divisée

 

C’est une Assemblée nationale profondément divisée qui a adopté ce soir la « résolution Maillard » censée « lutter contre l’antisémitisme », par 154 voix pour, 72 voix contre et 43 abstentions sur un total de 577 députés. Sur les 303 députés du groupe LREM, qui portait la résolution, seuls 84 ont voté pour, alors que 26 ont voté contre, 22 se sont abstenus et tous les autres se sont absentés. Le groupe Modem s’est partagé. Les groupes Socialiste, La France Insoumise et Gauche Démocrate et Républicaine ont unanimement voté contre. L’Assemblée nationale a adopté cette résolution avec moins de la moitié de députés présents. Les votes « pour » représentent à peine plus d’un quart des effectifs de l’Assemblée nationale.

 

Ce vote étriqué, malgré la majorité écrasante dont dispose le groupe LREM, n’est pas une surprise. En voulant faire le procès de l’antisionisme, qui est d’abord et avant tout une opinion politique, et en « approuvant » la définition très contestable de l’antisémitisme proposée par l’IHRA, - une arme promue par Netanyahou et Trump contre la société civile et les défenseurs du droit -, cette résolution s’est faite l’instrument de la politique israélienne au lieu de vouloir contribuer de manière sincère à la lutte contre l’antisémitisme dans notre pays.

 

Faut-il rappeler, comme l’ont fait plusieurs orateurs, que l’État d’Israël viole tous les jours le droit international et les résolutions de l’ONU, et qu’il nie totalement les droits du peuple palestinien ?

 

Faut-il rappeler le vote en juillet 2018 par le parlement israélien de la loi « État nation du peuple juif », loi suprémaciste et raciste faisant l’objet de nombreux recours en Israël même ?

 

En isolant la lutte contre l’antisémitisme des autres luttes antiracistes, qui ne sont pas citées une seule fois dans la résolution, en ignorant les avertissements de la CNCDH au point de ne même pas l’auditionner, les porteurs de cette résolution ont rendu un bien mauvais service à la lutte contre l’antisémitisme qu’ils prétendaient promouvoir.

 

Différentes annonces ont été faites à l’occasion de ce débat parlementaire. L’AFPS approuve la mise en place d’une mission d’information parlementaire sur la lutte contre le racisme, et compte bien témoigner devant celle-ci. Mais il fallait alors à l’évidence attendre les conclusions de cette mission parlementaire pour mettre au vote une autre résolution qui en aurait tenu compte.

 

Le député Sylvain Maillard, porteur de la résolution, a déclaré à la tribune de l’Assemblée nationale que cette résolution « exclut les exemples de l’IHRA pour illustrer la définition ». L’AFPS prend bonne note de cette déclaration importante, tout en déplorant qu’elle n’ait pas été intégrée dans le texte de la résolution.

 

Rappelons sans relâche qu’une résolution parlementaire ne peut rien « adopter », et que les exemples ont été exclus du champ de l’approbation de cette définition. Devant la propagande qui s’annonce, l’AFPS demande au gouvernement et à la DILCRAH de revoir avec la plus grande rigueur l’article sur leur site internet relatif à une prétendue adoption par la France de la « définition IHRA », en mentionnant notamment l’exclusion des exemples, et en rappelant qu’une résolution parlementaire n’a pas le pouvoir d’adopter quoi que ce soit.

 

Face aux entreprises de désinformation coordonnées par l’État d’Israël, une véritable résistance s’est manifestée dans notre pays, ainsi qu’une réelle aspiration à voir la lutte contre l’antisémitisme retrouver, dans le combat antiraciste, sa place essentielle mais non exclusive des autres formes de racisme, et débarrassée de toutes les tentatives de manipulation. C’est un facteur important qu’il conviendra de faire largement connaître.

 

L’AFPS continuera pour sa part à défendre sans relâche les droits du peuple palestinien, dans une rigueur absolue contre toute forme de racisme tout en étant parfaitement résolue à refuser toute forme d’intimidation.

 

Le Bureau national, 3 décembre 2019


Réaction de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine : Adoption d’une résolution approuvant la définition de l’antisémitisme de l’IHRA en France : un recul désastreux pour les libertés publiques et la lutte antiraciste

 3 décembre 2019

 

Aujourd’hui, une majorité de 154 député·e·s français·e·s ont adopté la résolution n°2403 visant à lutter contre l’antisémitisme proposée par Sylvain Maillard, malgré les nombreuses objections et mises en garde de la société civile.

 

La résolution adopte la « définition opérationnelle utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste » (IHRA). Or, depuis 2017, la CNCDH, (Commission nationale consultative des droits de l’Homme), rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, s’oppose à cette définition qui vise « à amalgamer à du racisme la critique légitime d’un Etat et de sa politique, droit fondamental en démocratie » (voir aussi sa lettre envoyée le 26 novembre aux député·e·s). Des organisations anti-racistes telles que SOS racisme et la Ligue des droits de l’Homme ont également dénoncé la définition, exprimant des dangers pour la liberté d’expression et la lutte antiraciste. L’opposition est globale puisqu’elle existe au niveau européen mais aussi international. 40 organisations juives dans le monde ont publié, en 2018, un appel contre la définition de l’IHRA qu’elles considèrent conçue pour délégitimer les défenseur·e·s des droits des Palestinien·ne·s.

 

Enfin, le 2 décembre 2019, 127 universitaires juifs ont appelé les député·e·s français·e·s à rejeter la résolution Maillard dans une tribune publiée dans Le Monde, parce qu’elle adopte la définition de l’IHRA et qu’elle associe l’antisionisme à l’antisémitisme.

 

« Nous déplorons une telle instrumentalisation de l’antisémitisme au bénéfice d’un Etat tiers qui viole systématiquement les droits de l’Homme et le droit international et ce en toute impunité », déclare le Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine François Leroux. « Au lieu de s’engager dans une lutte antiraciste universelle, les député·e·s qui ont soutenu cette résolution restreignent notre espace d’expression et d’action et cautionnent des organisations d’influence dont l’objectif premier n’est pas la lutte contre l’antisémitisme mais la délégitimation toute critique des politiques israéliennes ».

 

En effet, dans la promotion de sa résolution, Sylvain Maillard s’est entouréd’organisations proches du gouvernement israélien telles que ELNET (qui se veut être l’AIPAC européen) ou encore le Conseil régional de Judée et Samarie, organisation de colons israéliens extrémistes

 

Les ONG françaises sont extrêmement inquiètes quant à leurs libertés d’expression et d‘action futures. Un simple coup d’œil chez les voisins européens qui ont adopté la définition de l’IHRA est à ce titre édifiant. Au Royaume-Uni par exemple, la définition a été utilisée à de nombreuses reprises pour réprimer ou censurer des événements de solidarité avec la Palestine, des étudiants et universitaires. Elle est devenue un instrument de propagande pour le gouvernement israélien face à toute critique ou mesure qui le dérange. Plus récemment, celui-ci a estimé que la politique européenne de différenciation - en particulier l’étiquetage des produits des colonies confirmé par une décision de la Cour de justice de l’UE le 12 novembre 2019 - était discriminatoire, sur les bases de la définition de l’IHRA (voir d’autres exemples ici).

 

Face à ces attaques, nos organisations continueront de défendre les droits des Palestinien·ne·s sur les bases du droit international et des droits de l’Homme comme elles le font depuis des décennies. Elles appellent les institutions françaises à prendre leurs distances avec la définition de l’IHRA, à défendre les libertés publiques et à s’engager dans une lutte sincère contre toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme, en prenant appui sur les recommandations de SOS Racisme ou encore de la CNCDH.


Pourquoi assimiler l'antisionisme à l'antisémitisme est inepte et dangereux

 

Tribune publiée le 05/12/2019 dans l'hebdomadaire Marianne par Dominique Vidal, Journaliste et historien, auteur de Antisionisme = antisémitisme ? (Libertalia)

 

https://www.marianne.net/debattons/billets/pourquoi-assimiler-l-antisionisme-l-antisemitisme-est-inepte-et-dangereux

 

Dominique Vidal explique pourquoi assimiler l'antisionisme à l'antisémitisme et le criminaliser est dangereux et revient sur l'échec de la proposition de loi de Sylvain Maillard, qui a été voté dans une version édulcorée.

 

La montagne Kalifat a finalement accouché de la souris Maillard. La résolution de ce dernier, réduite au minimum, a été adoptée par 154 députés (sur 577). Pour juger de ce dernier épisode de la croisade antisioniste du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), il faut revenir au premier : la petite phrase du président de la République à la fin de son discours de commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 2017, face à Benyamin Netanyahou invité pour la première fois à la cérémonie.

 

UNE DOUBLE ERREUR

Assimilant une opinion à un délit, le président de la République affirme ce jour-là : "Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme." Quelle arrière-pensée motive cet amalgame ? Nul ne peut le dire. L’objectif du CRIF, en tout cas, est clair : faire voter une loi criminalisant l’antisionisme, défini entre les lignes comme la critique de la politique israélienne. Ce double raccourci comporte une double erreur : historique et politique.

 

Car l’immense majorité des Juifs, de L’État des Juifs de Théodor Herzl (1896) à 1939, rejette le projet sioniste. La preuve : sur les 3,5 millions de Juifs qui quittent l’Europe à l’époque, seuls 460 000 se rendent en Palestine. Après la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de survivants du génocide, puis de Juifs arabes et enfin de Juifs soviétiques gagnent la Palestine puis Israël – ils n’ont en général pas d’autre choix.

 

Les conséquences d’une telle loi sur notre droit seraient graves

Reste que les chiffres sont têtus : sept décennies après la création de "leur" État, 6 millions de Juifs y vivent, mais 10 millions restent dans leur pays d’origine ou d’adoption. Et de 600 000 à un million de citoyens juifs israéliens ont préféré s’installer ailleurs ! Seraient-ils antisémites, ces Juifs qui, à travers l’histoire, ont tourné le dos au projet sioniste, ou résisté aux sirènes du mouvement ?

 

De surcroît, les conséquences d’une telle loi sur notre droit seraient graves : elle y réintroduirait un délit d’opinion. Si les sionistes pouvaient interdire l’antisionisme, pourquoi les communistes ne prétendraient-ils pas en faire autant avec l’anticommunisme, les gaullistes avec l’antigaullisme, les libéraux avec l’altermondialisme ? Imagine-t-on Francis Kalifat, le président du CRIF, faire tous les soirs le tour des rédactions pour censurer les propos qu’il jugerait antisémites, comme les censeurs le faisaient pendant la guerre d’Algérie ?

 

ANTISÉMITISME ET ANTISIONISME

S’ensuivent de longs mois de bataille autour de ce projet de loi, auquel je contribue avec mon petit livre, Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron(Libertalia), et les dizaines de conférences que je lui consacre – finalement près d’une centaine de rencontres, avec plus de 8 000 participants. De quoi irriter Francis Kalifat, qui ira jusqu’à m’attaquer nommément dans son discours à la cérémonie du Vel d’Hiv en 2018 : : "À Dominique Vidal, qui (…) affirme que l’antisionisme n’est porteur d’aucun antisémitisme et qu’il serait même un courant de pensée, je veux dire combien sa lecture des débats du monde juif du début du XXe siècle est non seulement un anachronisme dangereux, mais aussi une naïveté coupable !" 

 

Deux mois plus tôt, un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) révélait que 57 % des Français ont "une mauvaise image d’Israël" et 69 % "une mauvaise image du sionisme". Antisémitisme ? IPSOS observe pour sa part que l’électorat du Parti communiste, de la France insoumise et de l’extrême gauche est à la fois le plus critique vis-à-vis de la politique israélienne et le plus résistant à toute forme d’antisémitisme…

 

En février 2019, le projet semble presque oublié quand se produisent en région parisienne une série d’actes antisémites, heureusement plus symboliques que violents : un tag "Juden" sur une vitrine de boutiques de bagels, des croix gammées sur les visages peints de Simone Veil, des arbres arrachés dans le mémorial d’Ilan Halimi, une agression verbale contre Alain Finkielkraut. En Alsace, le cimetière de Quatzenheim est vandalisé.

 

Le CRIF surfe sur l’émotion pour tenter de faire passer son projet en force. Président du groupe d’études sur l’antisémitisme, le député macroniste Sylvain Maillard annonce le 18 février le dépôt d’une loi sanctionnant l’antisionisme. Le lendemain, la surprise vient alors d’Emmanuel Macron : il exclut l’adoption d’une telle loi, qu’il juge "inutile". Mais il accorde au CRIF une sorte de lot de consolation : l’adoption par la France de la définition de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).

 

La critiquer, c’est tirer sur une ambulance, tant son texte est indigent : "L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte."

 

Plus graves, les "exemples" qui accompagnent cette définition - et que l’IHRA n’a pas votés ! - visent à museler toute critique de la politique israélienne, à l’aide d’oxymores. À preuve cet exemple : "L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme."

 

ÉCHEC DU PROJET DE LOI

Le caractère liberticide de cette démarche dresse contre elle un grand nombre de députés. Si bien que la résolution concoctée par Sylvain Maillard pour couler l’IHRA dans le bronze est reportée à la rentrée. Francis Kalifat traite, à demi-mots, le président de la République et celui de l’Assemblée nationale de lâches. Et le député Meyer Habib en fait autant avec ses collègues députés...

 

Voilà le texte qui a été adopté le 3 décembre. À quelques importantes nuances près. D’abord le terme "antisionisme" évoqué dans l’exposé des motifs, ne figure pas dans l’article unique voté par l’Assemblée. Ensuite Sylvain Maillard lui-même a exclu les "exemples" du texte. Enfin, seuls 154 députés ont soutenu celui-ci, soit un quart de l’effectif de l’Assemblée – alors que l’hémicycle était plein peu avant le vote. Et il aura fallu le renfort des Républicains pour que la résolution passe, tant le groupe LREM était divisé.

Pour mobiliser et rassembler contre l’antisémitisme, il faut mener d’un même mouvement le combat contre les autres formes de racisme

 

Un quart de l’Assemblée pour un texte présenté comme unissant la représentation nationale contre l’antisémitisme : voilà qui suffit à prouver l’échec de l’opération du CRIF. Et pour cause : comme l’a souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), "il est contraire au droit constitutionnel français d’opérer pareille distinction entre les racismes, le droit français retenant une définition globale et universelle du racisme ; une telle singularisation de l’antisémitisme vis-à-vis des autres formes de racisme pourrait remettre en cause le cadre républicain et encourager d’autres groupes victimes de racisme à revendiquer à leur tour pareille reconnaissance".

 

Sylvain Maillard et ses amis viennent d’en faire l’expérience : pour mobiliser et rassembler contre l’antisémitisme, il faut mener d’un même mouvement le combat contre les autres formes de racisme. À condition de le vouloir : en écoutant Meyer Habib insulter la France et notamment la gauche française depuis la tribune de l’Assemblée, je me suis demandé si cet irresponsable ne rêvait pas d’une vague antisémite de nature à provoquer la grande aliya dont il rêve à voix haute...