50 ans d'occupation coloniale, 50 ans de résistance par Michel Warschawski


La contribution de Michel WARSCHAWSKI

au dossier spécial de "Points critiques

le journal de l'Union des Progressistes Juifs de Belgique : 

 

50 ANS D'OCCUPATION COLONIALE, 50 ANS DE RESISTANCE  

 

 

http://upjb.be/editorial-cinquante-ans-doccupation-de-spoliations/


Cinquante ans ! Qui l'eut cru ? Quand, en juin 1967, l'armée israélienne écrasait trois armées arabes, beaucoup ont été ceux qui parlait d'un miracle : comme dans le mythe biblique, le petit David avait vaincu le géant Goliath. Pourtant, malgré l'écrasante victoire, il semblait évident que l'État hébreu allait devoir rendre les territoires conquis à l'Égypte, a la Syrie et à la Jordanie. Ce n'était qu'une question de temps…

 

Cinquante ans ont passé et, si l'État d'Israël a dû rendre le Sinaï à l'Égypte, elle continue à occuper le Golan syrien et les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.

 

Qu'est-ce qui a permis à Israël, à l'ère de la décolonisation, de pérenniser une occupation coloniale pendant cinq décennies ? D’abord, un rapport de forces évidement, à la fois local et régional. Ensuite, la lâcheté de ladite communauté internationale qui reconnait l'illégalité de l'occupation, mais laisse l'État hébreu dans un statut d'impunité scandaleuse. On doit ajouter un troisième facteur : l'utilisation intelligente par Israël et par la communauté internationale du concept de "provisoire". Une annexion pure et simple des territoires occupés – comme ça a été le cas de Jérusalem et du Plateau du Golan, risquait de provoquer une réaction internationale dont personne ne pouvait prédire les implications ; c'est ce que, contrairement à certains politiciens d'extrême droite, ont parfaitement compris les divers gouvernements en place, y compris ceux qui prônent le "Grand Israël". L'occupation est provisoire et l'avenir des territoires palestiniens sera négocié… au moment voulu ; ce moment est évidement repousse en permanence par des conditions imposées par les gouvernements israéliens : d'abord la reconnaissance de l'État d'Israël par le mouvement national palestinien. Une fois celle-ci acquise dans le cadre du processus d'Oslo, les dirigeants israéliens exigent maintenant la reconnaissance d'Israël comme "État du peuple juif". Demain en viendront-ils peut être à exiger des dirigeants palestiniens qu'ils fassent allégeance au mouvement sioniste et demandent, humblement, d'y avoir un statut d'observateur…

 

En un demi-siècle, le processus de colonisation a progressé, et les frontières réelles de l'État d'Israël se sont étendues vers l'est bien au-delà de ce qu'osaient rêver Ben Turion ou Golda Meir. Dans un débat public que j'ai eu à Tel Aviv avec un des dirigeants des colons, ce dernier m'expliquait la stratégie qui les guidaient : "tant qu'on nous laisse avancer, on avance. Le jour ou la communauté internationale dira basta, et ce jour n'est pas proche, on sera vraisemblablement obligés de s'arrêter. En attendant on a déjà fait pas mal de chemin, et ce que nous avons réalisé est irréversible".

 

Dans ces propos il y a deux arguments : d'abord un constat sur le succès de la stratégie de colonisation, grâce, entre autres, à la complicité ou pour le moins la passivité criminelle de la communauté internationale. Le second argument, celui de l'irréversibilité, est beaucoup plus douteux.

 

Constatons d'abord qu'une bonne moitié de la population israélienne considère, un demi-siècle après la guerre de Juin 1967, que l'occupation des territoires palestiniens (à l'exception de Jérusalem Est) est provisoire, que tôt ou tard, il faudra négocier avec les Palestiniens leur statut définitif. Même l'extrême droite israélienne mentionne régulièrement les territoires qui ne l'intéressent pas, à commencer par la Bande de Gaza et ses deux millions de résidents. Quant à la communauté internationale – y compris tout récemment Donald Trump, elle n'a jamais cessé de mettre en avant des "plans de paix" et, à l'exemple de la France l'année dernière, d'organiser des conférences internationales avec pour objectif "de mettre fin au plus vieux conflit colonial de notre temps".

  

Provisoire – même quand ce mot est utilisé pour gagner du temps – et irréversible sont antithétiques. L'irréversibilité de l'occupation n'est pas une idée nouvelle ; ce concept a été développé dès les années soixante-dix par le chercheur – mais aussi homme politique – Meron Benvenisti. Partant d'une analyse pointue et détaillée de l'intégration économique et surtout spatiale des territoires occupes en 1967 dans le tissu israélien, il remettait en question, à cette époque déjà, la perspective de partition en deux États. Quelques années plus tard explosait l'Intifada (la vraie, la première) et la ligne verte se redessinait au mètre près, y compris à Jérusalem ; suite à ce refus palestinien unanime d'accepter le pouvoir colonial israélien, le gouvernement israélien se trouva obligé de commencer à négocier un compromis, à Madrid, Washington et Oslo.

 

L'irréversibilité en politique ? Des grands empires ont été réversible, l'Union Soviétique a été réversible, le Reich des mille ans a été réversible après treize années seulement, aussi terribles et meurtrières qu'elles aient été, le colonialisme qui a occupé une grande partie de la planète a été réversible. Personne ne me convaincra que le colonialisme israélien est si puissant qu'il en deviendrait irréversible.

 

En fait, une situation n'est irréversible que quand ceux qui en sont victimes ont été éradiqués ou qu'ils aient capitulé, comme les Indiens d'Amérique. Ce qui n'est pas le cas du peuple palestinien : un demi-siècle après la conquête de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, il revendique le départ d'Israël, de son armée et de ses colons, des territoires occupes en juin 1967, avec la même détermination et dans la même unanimité. Ce n'est pas le moindre des mérites de Yasser Arafat, qui a su unifier son peuple dans un mouvement anticolonial, l'OLP, qui a gagné la reconnaissance du monde entier – à l'exception d'Israël et… la Micronésie et les Iles Marshall.

C'est cette détermination, et malgré un rapport de forces extrêmement défavorable et des erreurs stratégiques nombreuses, qui permet toujours encore une réversibilité de la domination coloniale. C'est elle qui a empêché une seconde expulsion et la résignation face à un pouvoir colonial qui pourrait sembler omnipotent. Certes, les temps ont changé si on les compare à l'ère coloniale de la fin des années quarante, mais ce qui a été déterminant c'est la leçon tirée par le mouvement national palestinien : plus jamais de Naqba, plutôt mourir que de quitter la patrie pour ne jamais y revenir.

Le problème numéro un de l'État d'Israël face aux territoires occupés et à leur population, c'est qu'ils sont, depuis cinquante ans, coincés dans sa gorge : il ne veut pas les cracher, il ne peut pas les avaler. Et ce problème continuera tant qu'une partie tiers ne les leur sorte pas de la gorge, par la force si nécessaire.

 

L'utilisation du concept d'"occupation provisoire" mais qui dure un demi-siècle a permis une réalité ou deux populations vivent sous un seul régime, avec des droits différents. Cela porte un nom : apartheid. L'utilisation récurrente du concept "provisoire" ne doit plus et ne peut plus cacher cette réalité. Dans l'espace de la Palestine mandataire, de la mer jusqu'au Jourdain, vivent deux peuples dans un seul système étatique, l'un (dans ce cas, on doit inclure la minorité palestinienne d'Israël) avec des droits civiques, l'autre sous l'arbitraire violent d'une administration militaire omnipotente et… provisoire.

 

La réalité d'une occupation coloniale qui perdure et d'une annexion de-facto sans octroyer des droits civiques a 40% de la population, devrait déciller les yeux de ceux et celles qui continuent à croire à l'oxymore qui définit l'État d'Israël comme "État juif et démocratique". 

 

Publié dans Points Critiques, mensuel de l'Union des Progressistes juifs de Belgique, Juin 2017