Quel avenir pour la Palestine ?


De jeunes palestiniens participent à un rassemblement de solidarité pour Gaza dans le camp de réfugiés palestiniens de Ein el-Helweh, à la périphérie de la ville de Sidon, au sud du Liban, le 16 novembre 2012 - Photo: Mahmoud Zayyata
De jeunes palestiniens participent à un rassemblement de solidarité pour Gaza dans le camp de réfugiés palestiniens de Ein el-Helweh, à la périphérie de la ville de Sidon, au sud du Liban, le 16 novembre 2012 - Photo: Mahmoud Zayyata

Sortir des sentiers battus et imaginer un nouvel avenir en commun.

 

 

Nous empruntons à Yara Hawari*, l'article passionnant qu'elle a publié en juillet dernier traduit par le site Chronique de Palestine. Un article dans lequel l'auteure interroge la stratégie passée des palestiniens pour mieux tenter d'anticiper, compte tenu du contexte actuel, ce que pourrait être "un avenir faisable" pour la Palestine...

 

La question de l’avenir des Palestiniens a longtemps été discutée sans la participation des Palestiniens eux-mêmes, ou alors dans un cadre imposé et limité.

 

En effet, la plupart des visions pour un avenir dans les cadres politiques traditionnels manifestent de manière assez constante comme première préoccupation un endiguement des Palestiniens indigènes et la sécurité de l’État colonisateur israélien. La manifestation la plus récente de cette tendance est la « Vision pour la paix » publiée par l’administration du président américain Donald Trump. [1]

 

Cette « vision » est aux antipodes du mandat politique révolutionnaire de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), créée dans les années 1960 et dont l’objectif est de libérer la Palestine et son peuple du projet colonial des sionistes qui avaient créé Israël. [2]

 

Nous sommes également très loin de la solution à deux États, qui a été imposée comme le futur le plus approprié et le plus réaliste pour les Israéliens et les Palestiniens, et qui a aussi imposé l’idée qu’Israël et la Palestine étaient deux groupes nationaux en guerre plutôt que le résultat du projet sioniste.

 

Ce récit était implicitement repris dans le Plan en dix points de l’OLP établi en 1974, et il est devenu explicite lors du Conseil national palestinien en 1988. Il a ensuite été consolidé par les accords d’Oslo au début des années 1990, lesquels ont établi un calendrier pour la création d’un État palestinien dans les terres occupées en 1967.

 

Le cadre politique précédent de l’OLP, qui était une lutte anticoloniale, a été abandonné, l’accent étant mis non plus sur la libération collective, mais sur la priorité à donner à la réussite individuelle et aux gains espérés dans le cadre d’un « État en attente ».

 

Ce tournant politique a également eu pour effet une transformation fondamentale de la société civile palestinienne – devenue maintenant largement dépendante du patronage des donateurs extérieurs, – et a conditionné une grande partie de la capacité palestinienne d’imagination collective, à un programme politique très contraint, marginalisant à la fois les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël. 

 

Alors qu’Israël passe d’une annexion de facto à une annexion de jure du reste de la Cisjordanie occupée, de nombreuses parties tierces s’accrochent désespérément à la solution à deux États comme étant celle qui protège le mieux leurs intérêts diplomatiques et commerciaux avec Israël.

 

Pour certains Palestiniens, le cadre étatique offre encore ce qu’ils considèrent comme le futur le plus réalisable à court terme. Son habillage nationaliste est également attrayant, d’autant plus que la notion d’État a été l’angle de vue dominant à travers lequel est imaginée la libération.

 

En effet, les initiatives visant à limiter la vision collective palestinienne à un cadre d’État conforme aux lignes de 1967 ont été largement couronnées de succès. 

Il y a eu cependant des tentatives pour aller au-delà de ces limites, certaines plus radicales voulant totalement les transcender. 

L’analyse politique présentée ici se concentre sur les possibilités de construire une vision collective pour un avenir palestinien. Elle s’appuie sur l’expérience palestinienne dans la représentation d’un avenir et examine les approches pour trouver un consensus allant dans le sens d’une vision partagée par la majorité du peuple palestinien.

 

Les promesses et les pièges

Dans le cadre d’une réelle tentative de repousser ces limites, un groupe de citoyens palestiniens d’Israël a exposé une vision d’avenir détaillée en 2006-2007. 

 

Leurs réflexions ont exposé une articulation sans précédent des aspirations politiques et sociales de cette partie spécifique du peuple palestinien. La vision d’avenir était découpée en quatre documents : le Document de vision d’avenirune Constitution égale pour tous, la Constitution démocratique et la Déclaration de Haïfa

 

Ils sont aujourd’hui connus sous le nom générique de Documents de la vision du futur (ci-après dénommés les « Documents ») et ont été publiés et produits dans le cadre d’un travail collectif de personnalités politiques, de divers intellectuels et dirigeants de la société civile palestinienne. 

Les Documents exposent ce que le collectif considère comme les revendications sociales et politiques de la communauté palestinienne en Israël, mais il est intéressant de noter qu’ils présentent également un résumé d’un récit historique palestinien. 

 

Il en est résulté un cadre théorique structuré pour les droits des Palestiniens au sein de l’État d’Israël. Les Documents ne présentaient pas de nouvelles idées ; ils consolidaient plutôt ce que beaucoup demandaient depuis des décennies. 

C’était cependant la première fois que ces idées étaient présentées de manière aussi claire et avec une vision aussi limpide de ce à quoi pourrait ressembler un avenir plus acceptable pour les citoyens palestiniens d’Israël.

 

Les Documents appellent essentiellement l’État d’Israël à abandonner son caractère juif et à traiter à parts égales tous ses citoyens. Dans le même temps, ils affirment l’identité nationale de la communauté palestinienne et son affiliation au monde arabe ainsi que son statut d’autochtone. 

En effet, le récit historique dans les Documents est clair et présente la Nakba comme la référence centrale dans le temps et comme la racine de la tragédie palestinienne. On y trouve également des descriptions claires et articulées de la genèse du projet colonial des colons sionistes en Palestine :

Vers la fin du XIXe siècle, le mouvement sioniste a lancé son projet de colonisation en Palestine. Par la suite, de concert avec l’impérialisme mondial et avec la complicité des puissances réactionnaires arabes, il a réussi à réaliser son projet, qui visait à occuper notre patrie et à la transformer en un État pour les Juifs – Déclaration de Haïfa, pp. 11 – 12.

Israël est le résultat d’un processus de colonisation initié par l’élite juive sioniste en Europe et en Occident et mis en oeuvre par les pays coloniaux qui y ont contribué en encourageant l’immigration juive en Palestine, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste – Document de vision d’avenir, p.9. 

L’accent mis sur la nécessité d’une réparation historique pour l’injustice de la Nakba est ce qui distingue ces Documents des autres initiatives des citoyens palestiniens d’Israël qui réclament l’égalité. 

Alors que les documents abordent brièvement l’oppression ininterrompue des autres composantes du peuple palestinien, appelant à la fin de l’occupation militaire des territoires de 1967 et demandant explicitement qu’Israël reconnaisse le Droit au retour des réfugiés palestiniens sur la base de la résolution 194 des Nations unies, il n’y a pas d’élaboration sur la façon dont le retour des réfugiés pourrait être mis en œuvre. 

 

Ces Documents ne considèrent pas non plus la fin de l’occupation et l’application du Droit au retour comme une condition préalable à la réalisation des demandes des citoyens palestiniens d’Israël. 

En effet, ces documents se concentrent clairement et délibérément sur la seule condition des citoyens palestiniens d’Israël, séparant consciemment ou non leur cause de celle de leurs concitoyens palestiniens d’ailleurs et s’inscrivant fermement dans le cadre de deux États. En résumé, l’appel des Documents de Vision pour l’avenir n’est pas pour un démantèlement de la structure [coloniale] mais plutôt pour sa réforme. 

S’ils présentent un plan d’avenir, ils le font dans les limites et les frontières fixées par le régime colonial sioniste, lequel ne reconnaît pas l’indigénéité palestinienne.

 

D’autres réflexions ont été menées pour envisager des avenirs alternatifs, notamment ceux mis en avant par des initiatives pour un seul État laïque pour tous ceux vivant du Jourdain à la mer Méditerranée. Par exemple, la campagne pour un seul État démocratique (One Democratic State Campaign, ODSC), établie à Haïfa, propose un programme politique en dix points qui comprend le Droit au retour des réfugiés et la restauration de leurs biens ainsi que d’autres dispositions visant à garantir l’égalité.

Cependant, comme les documents de la Vision pour l’avenir, l’ODSC n’appelle pas à la décolonisation malgré sa présentation d’Israël comme un État d’apartheid et colonial. 

 

D’autres individus ou groupes ont également tenté de développer des visions alternatives pour l’avenir, notamment en se concentrant sur des questions spécifiques telles que le Droit au retour des réfugiés palestiniens. Il s’agit notamment du Plan détaillé de Salman Abu Sitta pour le Retour ainsi que de divers groupes de terrain en Palestine, dont des groupes de jeunes qui envisagent la reconstruction de leurs villages ethniquement nettoyés (voir aussi mon article When Palestinians Imagine.) 

 

Recherche d’un consensus

Les Documents de la Vision pour l’avenir ont été produits après une série de consultations et de débats entre divers intellectuels, responsables reconnus de la société civile et représentants politiques de la communauté palestinienne en Israël. Toutefois, ils ne sont pas le résultat d’un large consensus qui aurait fait appel à d’autres composantes de la société, ce qui peut expliquer les limites de leur impact et de leur portée. 

 

La recherche d’un consensus doit être une partie essentielle de la formulation d’une vision qui s’adresse au peuple palestinien dans son ensemble. Le consensus (ijmaa’ en arabe) est défini comme un accord auquel parvient un collectif ou un groupe d’individus. Le terme peut se référer à la fois au processus et à la décision finale elle-même. 

 

Par opposition au vote à la majorité, qui peut conduire à des résultats litigieux et exclure de larges segments de la population, le consensus exige que toutes les parties concernées parviennent à un accord dans le cadre d’une négociation. Le processus peut également faciliter la construction d’un réseau basé sur la confiance entre les différents groupes et parties.

 

En l’absence de souveraineté et d’autonomie (en particulier dans les situations de domination coloniale), il est nécessaire de réfléchir à un consensus plus révolutionnaire – un consensus qui émane du peuple d’une manière qui n’est pas nécessairement possible par le biais de ce qui est considéré comme des procédures et des institutions démocratiques standard. 

 

L’histoire palestinienne nous fournit des exemples où le consensus révolutionnaire faisait partie du processus politique, comme pendant les premiers jours de l’OLP et pendant la première Intifada ainsi que dans des cas plus proches dans le temps. 

 

Le premier fondateur de l’OLP, Ahmad al-Shuqairyi, alors représentant palestinien auprès de la Ligue arabe, a rédigé les premiers documents politiques de l’organisation, dont la Charte et les statuts nationaux. Ceux-ci ont ensuite été approuvés par une assemblée de 422 Palestiniens qui se sont réunis à Jérusalem et qui comprenait des notables, des chefs locaux, des professionnels tels que des médecins et des avocats, et des représentants d’organisations de femmes (en fin de compte, les femmes n’ont obtenu qu’un nombre limité de sièges). 

 

On constate ici l’absence de représentants venant des camps de réfugiés et des milieux paysans ou ouvriers. [3] Il s’agissait d’un point de mécontentement particulier, notamment chez les étudiants et les jeunes militants, ainsi que chez les membres du Fatah et des groupes islamiques. Le manque de représentation, le sentiment que l’OLP était inféodée aux États arabes, ainsi que la crainte que l’OLP ne soit pas un organisme révolutionnaire, ont semé les graines d’un changement structurel radical. Un consensus pour le changement a été atteint parmi les groupes de guérilla, qui avaient eux-mêmes une importante légitimité populaire et sur le terrain grâce à leur lutte armée contre Israël. 

Yasser Arafat a été élu président de l’OLP en 1969 dans ce qui était essentiellement une prise de pouvoir politique menée par le Fatah, soutenu par d’autres groupes de guérilla. 

 

Cette prise de contrôle a apporté une décennie de pluralisme politique et a intégré non seulement les groupes de guérilla et les partis politiques, mais aussi les syndicats et d’autres collectifs. Le consensus initial sur la forme que devrait prendre le mouvement de libération palestinien – c’est-à-dire une lutte armée révolutionnaire et libérée du contrôle des États arabes – a duré jusqu’à ce qu’Israël expulse par la force l’OLP du Liban en 1982 (voir les récentes réflexions de Jamil Hilal sur le passé des dirigeants palestiniens). 

 

Par la suite, alors que les groupes de guérilla se déplaçaient vers le territoire palestinien occupé (TPO), tout ce qui subsistait de consensus a été éclipsé par les méthodes de plus en plus autoritaires d’Arafat lui-même pour nommer et confirmer les représentants, ainsi que par une surreprésentation des élites de la Diaspora.

 

En 1987, l’esprit révolutionnaire est descendu dans les rues de Palestine lors d’une manifestation de protestation collective de masse de la première Intifada. Le soulèvement était le résultat d’années d’organisation sur le terrain qui ont assuré les bases de la politisation de masse et de la lutte populaire. 

Des syndicats, des groupes d’étudiants, des collectifs et des organisations politiques ont formé une coalition connue sous le nom de Direction nationale unifiée du soulèvement. Les décisions étaient prises au sein de cet organe et un système de direction tournante était établi dans un esprit de représentation mais aussi pour répondre aux fréquentes arrestations de dirigeants. 

 

Le soulèvement était centré sur la notion de « pouvoir du peuple » en tant que forme de consensus populaire et révolutionnaire. Comme l’écrit Linda Tabar : « La gauche a pris la tête de ce processus… en affirmant que le peuple était le moyen et le but de la lutte, que le mouvement ‘investissait dans le potentiel et les capacités des gens’ et qu’il croyait en leur propre pouvoir… La gauche voyait le peuple comme l’espace dans lequel on pouvait construire des formes de pouvoir autonomes qui pouvaient soutenir la lutte pour imposer des réalités alternatives ». [4]

 

Une forme plus contemporaine de consensus peut être trouvée au sein du Mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) qui a été mis en place en 2005 suite à un appel de 170 syndicats palestiniens, réseaux de réfugiés, organisations de femmes, associations professionnelles, comités de résistance populaire et autres organismes de la société civile palestinienne. 

Toutes ces représentations ont maintenu un consensus sur trois revendications fondamentales : 1) La fin de l’occupation israélienne et de la colonisation de toutes les terres arabes et le démantèlement du mur d’apartheid ; 2) La reconnaissance des droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une pleine égalité ; 3) Le respect, la protection et la promotion des droits des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers et leurs propriétés comme le stipule la résolution 194 des Nations unies. 

L’appel du mouvement BDS était suffisamment large pour couvrir l’essence de la lutte palestinienne, à la fois en analysant le sionisme en tant que phénomène structurel mais aussi en s’adressant à l’ensemble du peuple palestinien dans ses trois composantes géographiques. Il s’agissait d’un rejet très clair et très explicite d’Oslo qui non seulement avait exclu deux parties essentielles de la population palestinienne (les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël) mais qui n’avait pas non plus abordé la question clé, le sionisme, en tant que projet colonialiste de peuplement. 

 

En outre, l’appel était une réponse à l’échec et à l’inaction des dirigeants palestiniens, en particulier à la suite de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004 sur le mur de séparation israélien. Bien que le BDS existe en tant que mouvement qui mobilise le soutien international pour faire pression sur Israël afin de le contraindre à respecter le droit international, il présente très clairement une vision de l’avenir à travers ses trois revendications. 

Le plus marquant dans le mouvement BDS n’est pas seulement la façon dont il a rassemblé une grande majorité de la société civile palestinienne, y compris les partis politiques, dans le soutien à l’Appel. C’est aussi la façon dont l’organisation a continué à fonctionner par consensus dans son processus de prise de décision, malgré la grande diversité des opinions politiques et sociales qui représentées dans son organe directeur, le BNC (Comité national du BDS).

 

Il est important de noter que le BDS lui-même n’est pas un parti politique ni un organe représentatif du peuple palestinien. Mais en tant que mouvement politique, il illustre bien la possibilité de parvenir à un consensus parmi les Palestiniens sur des questions fondamentales qui pourraient être remises au premier plan dans un programme politique et une vision du futur. Étant donné le climat actuel de polarisation politique et le manque de pratique démocratique, cet exemple de consensus mérite d’être souligné. 

Une récente anthologie de nouvelles intitulée Palestine +100 a été publiée dans laquelle des écrivains palestiniens partagent leur imagination sur une société régie par une domination totalitaire en Palestine en 2048 – cent ans après la Nakba. [5] Beaucoup de ces récits ont des intrigues plutôt macabres dans lesquelles le régime israélien transforme et adapte son oppression du peuple palestinien en cauchemars de haute technologie.

 

Ce qui est ele plus effrayant, c’est que plusieurs de ces futurs sont très crédibles, en particulier compte tenu de la détérioration rapide de la situation sur le terrain. Maintenant plus que jamais, il est impératif que les Palestiniens articulent des alternatives à ces futurs possibles et qu’ils laissent derrière eux une direction palestinienne paralysée qui n’a pas été capable de contrer la « vision » de l’administration Trump.

 

Dans cette optique, il est important de considérer les obstacles et les moyens de les contourner. La première pierre d’achoppement dans les discussions sur l’avenir est celle de la « faisabilité », c’est-à-dire ce qui est considéré comme possible dans le contexte du cadre hégémonique existant. Mais que signifie l’idée de faisabilité et qui la détermine ? La faisabilité repose généralement sur les notions de possibilité, de rationalité et de praticabilité qui sont déterminées par ceux qui sont en position de pouvoir. 

 

Dans le cas de la Palestine, le cadre d’Oslo a défini la faisabilité depuis plus de deux décennies, dictant le fait que les futurs palestiniens devaient être définis dans les limites d’un cadre à deux États et que la souveraineté palestinienne ne sera accordée que dans le cadre d’un processus conditionnel et par étapes. Des questions telles que Jérusalem et les réfugiés sont reléguées au « statut final ». 

 

Richard Falk, écrivant sur l’avenir palestinien, s’oppose à l’argument de la faisabilité et en particulier au cadre à deux États qui, selon lui, comporte toutes les caractéristiques d’une impasse : 

…les horizons de faisabilité limitent les options palestiniennes à deux possibilités : soit accepter un nouveau cycle de négociations dont l’échec est pratiquement certain, soit refuser ces négociations et être tenu pour responsable de l’obstruction des efforts de recherche de la paix. [6]

Un avenir « faisable » n’est donc pas une façon d’assurer la réalisation des droits ou la libération des Palestiniens. Falk insiste plutôt pour qu’une « politique d’émancipation » soit privilégiée dans les discussions sur l’avenir.

 

Certains Palestiniens et militants des droits des Palestiniens ont également qualifié cette approche de « les droits d’abord ». La réalisation des droits fondamentaux et de la souveraineté des Palestiniens, et non la faisabilité, doit être la base de toute vision du futur.

 

La deuxième pierre d’achoppement pour les Palestiniens est la notion de permanence coloniale dans l’imaginaire d’un futur. En évoquant le cas du colonialisme français en Algérie, Frantz Fanon écrivait qu’il « s’est toujours développé en partant de l’hypothèse qu’il serait éternel ». [7] Les colons et les régimes coloniaux cherchent à contrôler les perceptions de la réalité afin de lier les peuples indigènes et colonisés dans un cycle d’oppression apparemment perpétuel. 

Imaginer un avenir au-delà de cette oppression est donc un exercice important auquel les Palestiniens doivent se livrer. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’un exercice gratuit mais plutôt d’un exercice d’imagination de ce à quoi ressemblerait un avenir décolonisé.

 

Le troisième domaine est celui du discours des organisations non gouvernementales (ONG) et du néolibéralisme, dont il faut se débarrasser. Des années d’ONG et de néolibéralisme en Palestine ont conduit à une dépolitisation du langage et ont limité la perception des possibilités (voir Hazem Jamjoum, Redonner une dimension politique au discours palestinien). La revitalisation d’un langage local de libération et de décolonisation est essentielle, et un lexique commun est indispensable dans le processus d’imagination collective.

 

L’élaboration d’une vision commune pour l’avenir peut sembler impossible dans le contexte actuel de polarisation et de fragmentation politiques. Pourtant, comme décrit ci-dessus, nous avons des exemples où les Palestiniens sont parvenus à un consensus sur des questions essentielles, ce qui leur a permis de continuer à agir et à se mobiliser tout en intégrant la pluralité politique. 

La culture du consensus est une culture qui doit être nourrie et développée, en particulier dans le contexte d’une société palestinienne géographiquement, socialement et politiquement fragmentée.

 

 

 

Notes :

[1] Le titre dans son intégralité est : “Vision for Peace, Prosperity and a Brighter Future for Israel and the Palestinian People.” ↩
[2] Fayez Sayegh, Zionist colonialism in Palestine (Beirut: PLO Research Center, 1965). ↩
[3] Yezid Sayigh, Armed Struggle and the Search for State: The Palestinian National Movement, 1949-1993, Oxford: Clarendon Press (1997), p.99. ↩
[4] Linda Tabar, “People’s Power: Lessons from the First Intifada”, (Center for Development Studies, Birzeit University, April 2013): p.3. ↩
[5] Basma Ghalayini, ed., Palestine +100: stories from a century after the Nakba, (Manchester, UK: Comma Press, 2019). ↩
[6] Richard Falk, “Rethinking the Palestinian Future,” Journal of Palestine Studies, volume 42, Summer (2013): p.83. ↩
[7] Frantz Fanon, A Dying Colonialism, New York: Grove Press, (1965), p.179-180. ↩

 

Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d’Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l’Université d’Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire. En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l’histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera.

 

23 juillet 2020 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah