Entretien avec Elias Sanbar : Le plan Trump pour la Palestine


Dans son numéro 45, la revue ContreTemps propose un grand entretien avec ELIAS SANBAR au sujet du plan Trump/Netanyahou pour la Palestine. Elias Sanbar est écrivain, historien et poète. Il a dirigé́ durant 25 ans La Revue d’études palestiniennes. Il est aujourd’hui ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO. Le 1er mars dernier, il a participé́ à une conférence-débat dans le cadre des « Dimanches de Souria Houria » animée par Farouk Mardam-Bey. À l’issue de celle-ci il a accepté́ d’accorder un entretien à̀ ContreTemps. Il en analyse tous les enjeux notamment en regard des menaces que ce plan fait peser sur le Droit International issu de l'après seconde guerre mondiale...

 

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REVUE CONTRETEMPS N°45 – AVRIL 2020

INTERNATIONAL 

Le plan Trump pour la Palestine 

Entretien avec Elias Sanbar

 

« La bataille engagée concerne bien au-delà̀ des seuls Palestiniens, c’est une bataille pour la préservation des principes du droit » 

 

ContreTemps : Comment faut-il apprécier le plan proposé par Trump à grand renfort de caractérisations hyperboliques ? 

 

Elias Sanbar : Le plan Trump-Nétanyahou, dit « plan de paix », est en réalité́ un plan d’annexion. 

Qui aura le courage de parcourir les 128 pages du texte pourra voir qu’il est fait de bric et de broc. Son maître d’œuvre, le gendre de Trump, a pioché dans les archives du Département d’État pour bricoler ce prétendu plan. Le résultat proposé est un pays morcelé́, un pays impossible. Comment imaginer un État privé de frontières et de continuité́ territoriale, c’est-à-dire des deux composantes constitutives de tout État ? Ce qu’on voit dessiné c’est un pays de tunnels et de ponts, 17 au total, et qui détiendrait, pour relier Gaza et la Cisjordanie, le record du tunnel le plus long du monde : 100 kilomètres. Aujourd’hui le territoire
palestinien est réduit à 20 % de la Cisjordanie, ce qui est proposé́ en concerne 2 % : 2 % des 20 % ! 

De surcroit il faut être attentif au vocabulaire. On a évoqué́ l’annexion prévue de la rive occidentale, palestinienne, du Jourdain. En fait, le texte parle de la « vallée » du Jourdain, donc des deux rives du fleuve. C’est une annexion rampante de territoires jordaniens qui est visée. D’où̀ l’émoi qui se fait également jour en Jordanie... 

 

CT : Le refus des Palestiniens d’accepter de négocier sur la base de ce plan est dénoncé́ par beaucoup comme relevant d’une intransigeance aussi excessive qu’irréaliste... 

 

E. S. : Discuter des détails du plan sans en refuser le fond est un piège dans lequel en toute bonne foi se précipitent certains. Plaider contre tel ou tel point sans rien changer au contenu de l’ensemble, c’est ne pas comprendre que les dés sont pipés. La partie se joue ailleurs. Ainsi est déjà̀ annoncée la construction de nouveaux bâtiments sur ces 2 % du territoire où est censé́ exister le futur État palestinien ! 

Quant à̀ la capitale promise à̀ celui-ci, Jérusalem, l’histoire n’est pas nouvelle. Lors d’anciennes négociations, menées par Yossi Beilin, alors vice- Premier ministre du gouvernement Shimon Peres, ce dernier nous expliquait : « On comprend que vous ayez besoin que votre capitale s’appelle Jérusalem, c’est légitime, prenez Abou Dis et appelez-la Jérusalem. Comme cela, à la question “quelle est votre capitale ?” vous pourrez répondre : Jérusalem... » La mauvaise blague est devenue triste réalité́ ! 

Il faut observer d’autres données. Il est proposé́ à la compagnie israélienne d’électricité́ d’installer un nouveau réseau pour répondre aux insuffisances actuelles, 20 % de celui-ci dans les territoires aujourd’hui sous contrôle de l’Autorité́ nationale et qui devraient être financés par les Palestiniens, sauf que ces derniers sont requis ensuite d’acheter leur électricité́ à la même compagnie dont ils auront payé les travaux ! C’est un acte d’annexion sournoise. Comme on l’a déjà vu avec la construction du tramway autour de la vieille ville de Jérusalem et dont le tracé est tout en boucles et en détours pour créer des liaisons entre la ville et les colonies israéliennes. Ou encore, toujours à̀ Jérusalem, avec le projet d’un téléphérique qui permettrait aux pèlerins d’accéder au Mur des lamentations et au Mont des oliviers sans avoir à̀ passer par les rues de la vieille ville. Projet à propos duquel certains urbanistes israéliens ont dit qu’on allait créer un Disneyland ! 

Autre exemple : l’entrée dans la ville de Jérusalem. Depuis l’époque romaine elle se fait par la Porte de Damas. Or, le projet est de réorienter l’entrée pour l’ouvrir vers Jérusalem Ouest, d’où̀ des travaux d’urbanisme pour réaménager les espaces entre la Porte des Mosquées et celle de Damas, et la fermeture pour deux ans de la rue où s’activent commerces et petites entreprises... 

Bref, le plan n’innove en rien, le processus progressif d’annexion est déjà̀ à l’œuvre, sur le terrain, et au quotidien. 

 

Certains, du côté́ des pays arabes et aussi européens, nous disent : « Le plan ne vous plaît pas, c’est votre droit, mais ne soyez pas négatifs, prenez- le comme point de départ pour négocier ». En Palestine même existent des réactions selon lesquelles ce serait une erreur de dire nettement non au plan. Il faudrait discuter à partir de 2 % du territoire ? Non, ce n’est pas possible ! 

 

CT : Dans ces conditions, est-il pertinent de compter s’appuyer sur le droit international ? Le précédent des accords d’Oslo n’invite-t-il pas à̀ considérer ce type de négociations sous la houlette des États-Unis comme étant toujours pour les Palestiniens un piège ? 

 

E. S. : Oslo, il fallait y aller. Ce n’était pas une proposition palestinienne, mais les États-Unis avaient imposé́ cette négociation dans le contexte de l’après- guerre d’Irak et d’un isolement complet des Palestiniens. C’était un piège ? Sans doute. Mais moins dans son principe même que dans la façon de négocier. Les Palestiniens malgré́ toutes leurs faiblesses avaient la capacité́ de bloquer la négociation. La délégation américaine dirigée par James Baker, à la veille d’une élection qu’allait affronter Bush père, avait besoin d’une percée sur le plan diplomatique. Après quatre mois d’enlisement des discussions, pour sortir de l’impasse il était possible d’aboutir à un résultat satisfaisant pour nous sur la question des colonies. Mais ce qui se dessinait à Washington a été́ court-circuité par un accord à Oslo entre la délégation palestinienne venue de Tunis et Shimon Peres. Sans doute du fait que contre toute raison la direction de l’exil craignait de perdre la main au profit de celle de l’intérieur. 

De leur côté́ les diplomates américains ont usé dès la convocation de la Conférence de Madrid d’une ruse qui s’est avérée redoutable, en envoyant à toutes les délégations présentes un courrier qui ne concernait en rien le fond, mais seulement la procédure. Alors que les délégations arabes signeraient un accord définitif, la délégation palestinienne signerait un accord intérimaire. L’acceptation de ce caractère intérimaire a conduit à̀ ce que l’occupant demeure à jamais l’examinateur de l’occupé, et maître de la décision de quand on sortirait de l’intérimaire... Un temps durant lequel libre cours a été́ donné au développement des colonies. 

Reste que les résolutions de droit international sont aujourd’hui la seule arme dont nous disposions. 

Je me souviens que lors des négociations de Madrid, qui ont duré́ 6 années, Yasser Arafat m’avait donné́ mandat de suivre la question des réfugiés. Je pouvais m’appuyer sur les 2 résolutions de l’ONU concernant le droit au retour. En fait il y en avait aussi une troisième, la résolution 237, bien oubliée depuis, qui stipulait qu’Israël pour être admis à l’ONU avait souscrit à la condition d’accepter le retour des réfugiés... 

 

Je reviens à la Conférence de Madrid et aux négociations du Droit au retour. 

Nous sortions de l’effondrement de l’URSS, de la première guerre d’Irak, l’hégémonie des États-Unis était incontestable... Et on me répétait : « Pourquoi t’obstiner sur cette question du Droit au retour, les Israéliens n’en voudront jamais, c’est peine perdue... » 

Trente ans plus tard, j’entends les mêmes paroles : « Pourquoi au nom du droit refuser le plan Trump en bloc ? Il faut inventer un système permettant d’avancer ensemble concrètement ! Créez, les Israéliens et vous, vos propres termes de référence ». Que signifient des « termes de référence » 

Des « termes » qui, à l’écart du droit, renvoient aux rapports de force. Et les rapports de force sur le terrain c’est une armée d’occupation, un pays morcelé́, une annexion rampante et la légalisation du vol... 

CT : Reste que les Palestiniens paraissent aujourd’hui bien isolés dans leur refus du plan américano-israélien...

 

E. S. : C’est malheureusement incontestable. Un document américain a été́ envoyé́ à différents gouvernements pour les inviter à̀ faire part de leurs éventuelles critiques, il était accompagné d’un argumentaire en défense du texte. L’Arabie et l’Égypte ont recopié cet argumentaire tel quel. 

Les Européens ont fait de même en l’assortissant d’un ajout : « Deux États ce serait bien » ! Ce qui est totalement incohérent puisque le plan rend impossible l’existence d’un État palestinien. Donc l’Europe n’approuve pas, mais se tait. Et le silence vaut feu vert. 

Du côté́ du monde arabe, on est dans une situation de grand démantèlement. Nous n’avons pas pleinement mesuré combien les systèmes despotiques ont été́ paniqués par les printemps arabes. Nous vivons aujourd’hui leur revanche suite à̀ cette grande peur qu’ils ont connue, d’où̀ la sauvagerie déchainée pour reprendre les choses en mains. Je pense que cette dynamique des printemps arabes n’est pas finie, mais la note que nous payons actuellement est très lourde. 

Il faut aussi admettre que de leur côté́ les Palestiniens n’ont pas toujours été́ à la hauteur en termes de solidarité́ avec les autres peuples arabes. Le propos ne vise évidemment pas les 13 millions de Palestiniens, mais indique une ligne de force. Si quand nous étions en difficulté́ nos frères arabes sont venus à la rescousse, la réciproque n’a pas toujours été́ au rendez-vous. Les rapports de force ne sont pas une excuse, ils n’ont jamais été́ idéaux, ni pour les uns ni pour les autres, et cela ne saurait justifier le manque de solidarité́. 

Or, l’aide est toujours venue de l’extérieur vers la Palestine. Il est important de dire que ce qui aurait dû être fait ne l’a pas été́. Nous payons le prix de ce lâchage. Quels que soient les arguments montrant que nous n’avions pas les moyens, car nos frères venus souvent à̀ notre rescousse n’avaient pourtant pas toujours les moyens... 

 

CT : Le risque aujourd’hui n’est-il pas que les Palestiniens se retrouvent dans une impasse totale ? 

 

E. S. : Les Israéliens voulaient déclarer l’annexion dès le lendemain de la présentation du Plan Trump, avant les élections législatives pour que Netanyahou puisse se revendiquer de ce grand succès. Ce sont les Américains qui les en ont empêchés. Cela pour une raison évidente : dès lors que l’annexion est concrétisée, les voies pour une quelconque négociation seraient coupées, et l’argument « négociez, vous pouvez obtenir quelque chose » tomberait de lui-même. 

La raison de ce report n’est pas comme le prétendent certains qu’il faudrait attendre de savoir qui sera le prochain Premier ministre israélien, mais bien d’entretenir l’invitation faite aux Palestiniens de venir s’embourber dans une négociation sans issue. 

Ce qui montre a contrario que pousser les Palestiniens à jouer le jeu demeure incontournable malgré́ la faiblesse de ces derniers. 

Pour l’instant on en reste là. Dans la société́ palestinienne il existe deux courants, l’un qui pense qu’il ne faut céder sur rien, l’autre qui souhaiterait se débarrasser du poids de ceux qui bloquent les choses. 

Cette fois encore, ce n’est pas nouveau. Aujourd’hui on peut le dire, en 1992, lorsqu’on discutait du droit au retour comme je l’ai indiqué́ précédemment, au sein de la délégation palestinienne certains voulaient me convaincre qu’il s’agissait d’une question tactique, considérant que « l’extérieur », les gens de l’exil, les encombrait inutilement. Heureusement qu’il y a l’extérieur ! Ce sont ses combats qui ont permis de revendiquer nos droits. 

Reste que la situation est profondément instable. Tout peut arriver, y compris le pire. Mais il faut être convaincu que la bataille engagée concerne bien au-delà̀ des seuls Palestiniens, qui sont simplement les premiers à̀ en faire les frais. Il s’agit de la préservation des principes du droit. 

Avec ce plan nous entrons dans une nouvelle phase politique. Il s’agit d’en finir avec la notion de droit international, ce qui ne déplairait pas d’ailleurs à trois membres puissants de la Communauté́ internationale : les États-Unis, la Russie et la Chine. 

Que signifie concrètement cet abandon du doit au profit des rapports de force nus ? 

 

Dans les années 1940, Arthur Koestler, ardent sioniste, fait un long séjour en Palestine au sein d’un des premiers kibboutz, de son séjour il tirera un roman, La tour d’Ezra. Ce même Kœtsler aura plus tard cette formule : « En Palestine, un pays a donné́ à un deuxième le territoire d’un troisième » 

C’est la meilleure définition du Plan Trump. 

Le plan Trump c’est la légalisation du vol, donc la mise à mort des règles internationales établies après la Deuxième Guerre mondiale, la fin du principe qui décrète illégale toute appropriation de la terre d’autrui par la force. 

C’est une politique qui conduit à̀ la mise à mort du système onusien, de la Charte des droits de l’homme, des principes du droit international. Comment ne pas voir que parmi les 195 pays membres de l’ONU nombre d’entre eux auraient facilement envie de s’approprier un bout d’un pays voisin ? Au demeurant lorsque l’Irak a voulu s’emparer du Koweït, les États-Unis ont engagé́ une guerre contre lui. Qu’est-ce qui a changé́ depuis ? Qu’est devenu le principe de l’intangibilité́ des frontières ? Si la seule loi c’est celle du plus fort, ce sera vite la jungle. 

Le texte que veulent imposer Trump et Netanyahou consacre, ou espère consacrer la fin d’un monde.

CT : À quels développements faut-il s’attendre en Palestine même ? Où en est le débat ancien sur « Un État binational » ou « Deux États » ?

 

E. S. : On peut revenir sur l’histoire, discuter des responsabilités et erreurs commises. Reste qu’il faut comprendre qu’on n’est pas au début du processus, mais à sa fin. La formule d’un seul État relève aujourd’hui de l’illusion. Il n’y a aucun moyen de contraindre les Israéliens à accepter un seul Etat. L’idée que dans un tel cadre on pourrait « les manger » démographiquement, est tout simplement stupide par principe et politiquement, comme si faire la paix n’équivalait qu’à une ruse de guerre ! 

Quant à̀ la formule des deux États, elle n’est plus envisageable. Sur le terrain les enchevêtrements sont tels qu’il n’est pas possible de prendre un crayon pour tracer des délimitations territoriales. 

 

La situation est sombre. 

N’empêche que les Palestiniens sont toujours là. C’est là que réside le nœud de l’impasse, un nœud fort positif qui rappelle à ceux qui auraient tendance de l’oublier que les Palestiniens sont la question et non un élément annexe du conflit. Aujourd’hui nous nous retrouvons face à̀ une situation classique d’apartheid. Ce qui conduit à̀ un combat pour l’Egalité des droits. Il revient à̀ dire : « Vous avez tout. Mais nous sommes là, nous payons des impôts, nous respectons les lois, donc nous voulons le droit de vote et l’Egalité »

 

Reste qu’il faut, là encore, prendre en compte la complexité́ de la situation. 1,2 million de Palestiniens vivent en Israël, disposent d’un passeport israélien et du droit de vote. C’est salué́ comme une grande victoire, et c’en est une. Mais redoutable. Sur les 15 millions de Palestiniens, 60 % vivent hors du territoire de la Palestine historique, 7 millions ne sont donc en rien intéressés par le droit de vote dont on parle. Si les autres l’obtenaient, ils devraient se désintéresser de ces 7 millions ? Toute la difficulté́ est là : personne ne peut dire on ne veut pas du droit de vote pour les Palestiniens, ce qui serait perçu comme une trahison. Mais si on l’obtenait on serait condamnés au silence quant aux droits de 7 millions d’entre nous. 

Pour montrer que rien n’est simple, je voudrais évoquer une conversation que Mahmoud Darwich m’avait rapportée avec Yasser Arafat alors qu’il envisageait de rentrer en Palestine. Mahmoud lui avait dit : « Ne rentre pas ! Si tu le fais, ils feront de toi un président de municipalité́ en charge des problèmes de voierie. Dis que tu ne rentreras qu’une fois le dernier des enfants de ton Peuple revenu chez lui. Tu seras alors le Moïse de la Palestine »

Mais Arafat avait un besoin vital de rentrer, en tant qu’homme, en tant qu’exilé. Le propos de Mahmoud était tout à la fois juste et injuste. Ainsi va la politique. 

Le retour en Palestine ne pouvait se faire qu’au détriment de nos frères et sœurs qui ne rentreraient pas. Et cela quelles qu’aient pu être les politiques menées. Il aurait fallu que la direction reste à l’extérieur, pour porter simultanément le dedans et le dehors. Ceux qui sont rentrés étaient de bonne foi, mais il ne leur était pas possible d’assumer les deux dimensions. 

Je parle de cela, parce qu’aujourd’hui on retrouve un problème similaire : on est invités à demander l’égalité́ en abandonnant les autres. Beaucoup de militants sincères sont prêts à céder à un chantage qui fait que la victoire de 40 % des uns se paierait de la défaite des 60 % autres. La division voulue par nos adversaires serait accomplie. 

Le tout accompagné du miracle du financement : 50 milliards de dollars promis, payés par les pays pétroliers et nullement par les États-Unis, et dont on peut être sûr que les habitants ne verront pas venir à eux un seul dollar. 

Voilà̀ pourquoi, au risque d’être incompris, je pense que nous n’avons pas intérêt à demander le droit de vote. Si on veut rester un seul peuple, il ne faut pas jouer cette carte. 

 

CT : Mais quel avenir espérer pour le peuple palestinien ?

 

E. S. : Le grand problème historique a été́ notre invisibilité́. En 1948, il n’y a pas eu « conquête », mais effacement, effacement de notre terre, de notre nom même... Tout le combat de l’exil a permis d’imposer notre nom sur la scène mondiale. Personne ne peut dire aujourd’hui que les Palestiniens n’existent pas ! Ce qui fait que le plan Trump repose sur du vide, c’est qu’il prétend à nouveau effacer les Palestiniens. On voudrait recréer une « absence » palestinienne. Ça ne marchera pas. 

Parce que les Palestiniens ont compris que qui part ne revient pas. C’est la différence avec nos parents qui sont partis en pensant qu’ils reviendraient au bout d’une semaine. Aujourd’hui on construit une mythologie sur cette question des clés. À croire qu’en 1948 les gens sont partis avec leurs clés, pour 70 ans après manifester en vue d’imposer le droit au retour en les agitant. S’ils ont pris leurs clés c’est qu’ils croyaient revenir au bout de quelques jours. Ceux qui ne sont pas partis ont compris, et c’est heureux, qu’ils ne doivent pas partir. Malgré́ les incroyables difficultés de la vie quotidienne, les humiliations, les mesures administratives qui visent à̀ les obliger à̀ s’en aller, ils se refusent à̀ vider les lieux. C’est une forme de résistance. 

Quant à̀ l’Autorité́ palestinienne, si elle prétendait s’extraire de cela, elle aurait immédiatement une intifada contre elle. Cela pour une raison très prosaïque. Aujourd’hui l’aide à la Palestine qui est censée aller aux projets d’infrastructures est totalement consacrée aux salaires, sans elle 188 000 familles ne pourraient plus s’alimenter. La société́ palestinienne à juste titre exige que les familles des martyrs et des prisonniers soient soutenues, que soient payes les 98 000 enseignants pour que les enfants à l’école aient en face d’eux des enseignants, que dans les hôpitaux ils aient accès aux soins dispensés par un personnel médical... Il est impossible pour l’Autorité́ palestinienne de se dégager de cette responsabilité́. 

Tout cela dessine une situation très complexe et à hauts risques. Tout est à̀ envisager. Y compris une explosion en réaction à l’annexion. Evidemment, je ne l’annonce pas, je dis que c’est une hypothèse qu’on ne peut écarter. Les appareils sécuritaires israéliens pour leur part ne l’écartent pas. 

Mais je le répète, ce que subissent les Palestiniens et le monde à travers eux, c’est une destruction des principes mêmes du droit international, leur refus est donc décisif pour l’avenir, pas uniquement le leur, celui de tous les peuples du monde... 

 

Propos recueillis par Francis Sitel