LEÏLA SHAHID et CLAUDE LEOSTIC en conversation publique à Brest sur l'avenir de la Palestine


Une soirée organisée par l'Afps de Brest et du Pays de Morlaix avec la LDH, les Amis du Monde Diplomatique et l'Université Européenne de la Paix.

 

Plus de 140 personnes ont fait le déplacement à la fac Segalen pour écouter et participer au débat provoqué pas les questions de Claude Léostic, Présidente de l'AFPS de Brest, auxquelles Leïla Shahid a pris grand soin de répondre avec précision et pédagogie comme à son habitude.

 

Dans le contexte actuel des fortes mobilisations populaires qui font descendre des millions de personnes, en particulier les jeunes, dans les rues de Santiago, de Hong Kong, d'Alger, du Soudan, en Irak ou au Liban que Leïla Shahid connait bien, elle insiste pour que la situation de la Palestine occupée soit abordée aussi dans ce contexte. Elle nous invite à une évaluation la plus précise possible des rapports de forces internationaux en jeu dans cette période. Elle reste persuadée que ce qu’on appelle « le conflit » demeure au centre des équilibres bousculés du Proche-Orient. Même si, l’aggravation de la situation du peuple palestinien face à la répression et à la colonisation israélienne ne fait pas toujours la une des médias internationaux.

 

Partant de la situation libanaise, la question des réfugiés palestiniens est l’occasion pour Leïla Shahid de rappeler combien le droit au retour reste une revendication majeure pour eux. Bien que les différences d’accueil dans les différents pays voisins de la Palestine soient fortes. Entre la Jordanie qui offre une nationalité et une égalité des droits à près de 2 millions de Palestiniens et le Liban, où l’accès à plus de 70 métiers leur demeure interdit et où les conditions de vie se sont terriblement dégradées.

 

Concernant la Palestine dans sa globalité, l’ancienne ambassadrice souligne qu’une certaine « candeur » a conduit les dirigeants palestiniens à entretenir l’illusion après l’assassinat de Rabin que les accords d’Oslo pouvaient être appliqués si les Palestiniens respectaient coûte que coûte leur part d’engagements. Alors même qu’en face aucun dirigeant israélien n’a eu le moindre désir de faire la même chose. Bien au contraire ! Et de reprocher au Président Abbas son manque de pugnacité face aux chantage permanent de l’occupant et aux pressions internationales (notamment européennes). Alors que l’heure est à revendiquer plus que jamais les droits légitimes du peuple Palestinien et qu’ils devraient être respectés et défendus par les instances internationales…

 

A partir des questions du public, le débat s’est poursuivi pendant plus d’une heure pour aborder les actions possibles de solidarité (BDS, missions de solidarité, interpellation des élu-e-s à tous les échelons, lutte contre l’amalgame antisionisme/antisémitisme…).

 

En lançant les invitations à cette initiative, nous disions "A coup sûr, une soirée à ne pas louper pour les ami-e-s de la Palestine", nous avons pu mesurer dans les échanges de sortie de la salle combien nous avions raison... 


Le Télégramme du 31 octobre a publié une interview de Leïla Shahid

 

Leïla Shahid. « Le monde a perdu la boussole »

 

Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France, de 1994 à 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de 2005 à 2015, était à Brest, ce jeudi soir. À 70 ans, elle se passionne pour l’évolution du monde, au-delà de la cause palestinienne.

 

Où en est la cause palestinienne ? Elle semble ne jamais vraiment avancer…


« Avec les accords d’Oslo en 1993, nous avons eu l’illusion, la candeur pathétique de croire que tous les dirigeants israéliens étaient comme Yitzhak Rabin. Après sa mort, en 1995, tous ont tout fait pour détruire ces accords. Nous aurions dû avoir un État en 1999, il y a vingt ans déjà ! La situation a empiré… On continue à nous mettre à la porte. Le Hamas (mouvement islamiste palestinien, ndlr) a gagné les élections palestiniennes mais cela n’a pas été reconnu. C’était une erreur : cela en a fait des héros »

 

Vous êtes née et vous vivez au Liban, dont le Premier ministre a démissionné, il y a quelques jours…

 

« C’est une première victoire pour les manifestants. Si, demain, le Hezbollah tue des gens comme à Bagdad, peut-être que ce sera fini… Mais quelque chose se passe. Avec les réseaux sociaux, on a vu des gens comme sortir de terre. Un million le premier week-end, puis deux le week-end dernier, dans un pays de quatre millions d’habitants ! A Khartoum (Soudan), les gens ont gagné, mais aussi à Hong Kong, face à la grande puissance chinoise ! Il y a le Chili et d’autres… Il y a dix ans, on nous disait que les jeunes ne s’intéressaient plus à la politique et on s’est trompés. Cela fait tache d’huile avec internet. Ces jeunes, je les adore. Ils ne sont pas nationalistes comme leurs parents. Moi-même, je suis aujourd’hui citoyenne du monde ».

 

Cela vous fait-il penser au printemps arabe ?


« Oui mais c’était uniquement les pays arabes. C’était le premier chapitre du livre. Là, c’est le deuxième, un mouvement tectonique, plus universel ».

Comme en 1989, en Chine, en Europe de l’Est, puis à Berlin où le mur est tombé ?


« Il y a des moments clés où l’Histoire ne nous demande pas la permission. On est suspendu : je ne rate rien, je ne lis plus de roman… Le nombre fait la force, c’est le seul moyen, par exemple, face à la Chine ! Durant la Guerre froide, qui osait se lever ? Il y avait deux super puissances. Les pays non alignés n’avaient pas de moyens militaires importants. La chute du Mur de Berlin et l’arrivée de Bush fils, et surtout Trump, ont chamboulé le monde. On nous promettait un nouvel ordre mondial mais c’est le désordre. Le monde a perdu la boussole : le meilleur allié de Trump semble être la Russie. Saoudiens et Israéliens semblent s’allier contre l’Iran, le Qatar contre l’Arabie Saoudite… »

 

Et la Palestine, dans tout cela ? Elle qui s’estimait victime dans l’équilibre précédent doit-elle espérer dans ce déséquilibre ?

 

« C’est un moment très intéressant et c’est porteur d’espoir. Elle doit revendiquer ses droits, rappeler aux États et aux opinions que nous n’avons jamais eu ce qu’on nous a promis. Dire : coucou, on est là ! »
 
Le Télégramme du 31 octobre 2019