Journaliste et historien, auteur de "Antisionisme = Antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron
Beaucoup de lecteurs auront été surpris de découvrir, sous la plume de l'historien Zeev Sternhell, spécialiste éminent du fascisme, une comparaison entre son pays, Israël, et l'Allemagne des débuts du nazisme (le Monde, 18 février 2018). C'est que la plupart des grands médias ont peu couvert la radicalisation des actuels dirigeants israéliens, y compris ceux qui aspirent à succéder à Benyamin Netanyahou.
Ainsi, le chef du Foyer juif, Naftali Bennett, ministre de l'Éducation et de la Diaspora, prône-t-il l'annexion de la Cisjordanie. Il a déjà fait voter une loi en ce sens par la Knesset, le 6 février 2017. Netanyahou prépare un nouveau texte étendant la souveraineté d'Israël aux cinq blocs de colonies situés à l'est de Jérusalem.
En attendant d'en débattre, Bennett a fait adopter un amendement à la loi sur Jérusalem de 1980, rendant plus difficile la cession de zones de la ville à un éventuel État palestinien et plus facile l'exclusion de quartiers palestiniens situés à l'extérieur du mur.
Autrement dit, ces gens ont décidé, violant ouvertement le droit international, d'enterrer la solution dite « des deux États » au profit d'un seul : un État d'apartheid, où les Palestiniens annexés ne voteraient pas. Il faut dire que le « Grand Israël » compte autant d'Arabes que de Juifs : 6,58 millions...
Ministre de la Justice, Ayelet Shaked a été plus loin : pendant la dernière guerre de Gaza, elle a posté sur sa page Facebook un texte qualifiant « l'ensemble du peuple palestinien (d')ennemi d'Israël » et justifiant ainsi « sa destruction, y compris ses vieillards, ses femmes, ses villes et ses villages », comme l'a rapporté le Parisien le 12 mai 2015.
Qui se ressemble s'assemble : Netanyahou recrute ses meilleurs amis parmi les pires populistes. Comme Viktor Orban, le premier ministre hongrois, grand défenseur du régent Horthy, qui a livré 600 000 juifs hongrois à Adolf Eichmann. Et Jaroslaw Kaczynski, inspirateur d'une récente loi interdisant d'évoquer les nombreux Polonais qui ont collaboré à l'extermination des juifs. Sans oublier les partis d'extrême droite, qui ont presque tous leurs entrées à Tel-Aviv, sous couvert de lutte contre l'islam.
Cette fuite en avant, Netanyahou et ses alliés-rivaux le savent, ne pourra qu'accentuer leur isolement. Déjà, l'État de Palestine est entré à l'Unesco (2011), aux Nations unies (2012) et à la Cour pénale internationale (2015). Et l'Assemblée générale a voté, fin 2017, en faveur du droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à un État, par 176 voix contre 7 (dont les îles Marshall, la Micronésie, Nauru et Palaos). Dans les enquêtes d'opinion internationales, Israël arrive dans le peloton de queue, devant la Corée du Nord, l'Iran et le Pakistan.
Voilà pourquoi le gouvernement israélien s'efforce de faire taire les critiques de sa politique. D'où sa volonté de criminaliser la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), qualifiée par Netanyahou de « menace stratégique majeure ». À défaut de loi interdisant le boycott, les inconditionnels français d'Israël s'appuient sur une circulaire ministérielle, que très peu de parquets ont appliquée, et sur un avis de la Cour de cassation, que la Cour européenne des droits de l'homme pourrait retoquer.
Autre tentative : l'interdiction de l'antisionisme, absurdement assimilé à l'antisémitisme. S'appuyant sur une petite phrase d'Emmanuel Macron lors de la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) exige une loi en ce sens.
Comme si les autorités françaises pouvaient créer et le Conseil constitutionnel valider un délit d'opinion !
Paradoxalement, l'extrême droite israélienne s'inquiète aussi des réactions de sa propre opinion. Si l'absence d'alternative à gauche a poussé les Israéliens vers la droite, cette évolution a des limites : seul un tiers des électeurs accepte l'idée d'annexion. C'est pourquoi, à titre préventif, la Knesset a adopté une dizaine de lois liberticides : elles interdisent notamment le boycott et la commémoration de la Nakba (1), étranglent financièrement les ONG et permettent de refouler les partisans de BDS. La plus incroyable permet à 90 députés d'exclure du Parlement... les 30 autres !
Et voilà ce qu'on appelle « la seule démocratie du Proche-Orient ».
(1) Nom donné par les Palestiniens à l'expulsion des deux tiers d'entre eux, en 1947-1949.