C'est le titre, très approprié, choisi par René Bachmann pour cet article publié par Mediapart dans lequel, il décrit l'offensive diplomatique menée par l'administration étasunienne sous la houlette de Jared Kushner. Le gendre du Donald Trump avait pour mission d'empêcher coûte que coûte qu'une majorité, même relative, d'Etats n'exprime son refus du fameux "plan de Paix" Trmp/Netanyahou. Et on peut dire que pour cette fois, il a réussi son coup... Honte à l'Union européenne incapable de parler d'une seule voix et surtout de s'engager à soutenir le refus palestinien au nom de la solution à deux Etats qu'elle prétend toujours défendre. Et honte également à la France qui n'a pas su, ou plus évidemment refusé, de mener la moindre bataille diplomatique pour se démarquer d'un "plan de Paix" qu'elle juge, parait-il, inapplicable...
Palestiniens : le piège de l’ONU
11 février 2020 Par René Backmann
Les Palestiniens voulaient faire voter par le Conseil de sécurité une résolution condamnant le « plan de paix » inacceptable que veut leur imposer Trump. Ils ont dû y renoncer face à l’offensive diplomatique massive déclenchée par Washington.
https://www.mediapart.fr/journal/international/110220/palestiniens-le-piege-de-l-onu
Depuis la présentation le 28 janvier par Donald Trump du plan americano-israélien pour le Proche-Orient, les dirigeants palestiniens projetaient de faire voter par le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution condamnant ce plan qui viole le droit international et piétine leurs droits nationaux. Ce vote, prévu pour ce mardi, en présence du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas n’aura pas lieu.
Les Palestiniens ont indiqué hier qu’ils renonçaient à la résolution que devaient présenter en leur nom, la Tunisie et l’Indonésie, membres non permanents du Conseil. Officiellement, le texte a été retiré pour des « raisons techniques » ou pour être « finalisé ». En fait, il ne sera pas soumis au vote, car les Palestiniens ont constaté qu’il risquait de ne pas obtenir les neuf voix nécessaires (sur quinze) pour être adopté. Adoption à laquelle, de surcroît, chacun des cinq membres permanents – dont les États-Unis – aurait pu faire obstacle en opposant son veto. Ce qu’aurait certainement fait la représentante des États-Unis, Kelly Craft.
Washington, qui ne souhaitait pas être contraint à cette décision habituelle, mais spectaculaire, révélatrice par le passé de son isolement sur cette question historique, a choisi une autre stratégie fondée sur les nouveaux rapports de force dans la région et dans le monde.
Et les Palestiniens ont dû reculer face à une offensive diplomatique de grande ampleur, menée par la Maison Blanche et le Département d’État depuis plusieurs semaines. L’un des signes les plus évidents de cette offensive a été le limogeage, le 7 février, par la Tunisie de son ambassadeur à l’ONU, Moncef Baati, accusé d’avoir commis « une grave erreur » en distribuant un document destiné à la discussion.
Considéré par la plupart de ses collègues, à New York, comme un « excellent diplomate », « un très bon négociateur, la bonne personne pour négocier le projet de résolution des Palestiniens », Moncef Baati, avait quitté sa retraite en 2019 pour devenir ambassadeur à l’ONU pendant les deux ans où son pays serait membre du Conseil de sécurité. Il a été rappelé, en réalité, parce que le président tunisien Kaïs Saïed, chapitré par l’ambassadeur américain, redoutait que son travail en faveur de la résolution palestinienne ne mette en péril les relations entre la Tunisie et les États-Unis.
Combinant carotte et bâton, Washington a ainsi passé en revue la quasi-totalité des quatorze autres membres du Conseil. Les quatre autres membres permanents (France, Russie, Chine, Royaume-Uni) et les dix membres non permanents (Afrique du Sud, Allemagne, Belgique, Estonie, Indonésie, Niger, République dominicaine, Saint-Vincent et les Grenadines, Tunisie, Vietnam).
Londres « post-Brexit » ayant manifesté sa sympathie pour le plan Trump, considéré comme « une proposition sérieuse », restait à gagner au moins l’abstention de certains des quatre membres de l’Union européenne siégeant au Conseil. Alarmé par la position critique qu’avait manifestée le nouveau représentant de la diplomatie européenne, l’Espagnol Josep Borrel, le conseiller et gendre de Trump, Jared Kushner, à la manœuvre sur ce dossier, avait été rassuré de constater que l’UE s’avérait incapable de s’entendre sur un communiqué commun au lendemain de la publication du plan Trump. Il semble qu’il ait été entendu au moins par l’Estonie et l’Allemagne qui penchaient lundi vers l’abstention. Mais qui ont accepté d’endosser une déclaration commune, mardi avant la réunion du Conseil, dans laquelle ces pays soulignent leur engagement en faveur d’une solution à deux Etats dont l’un indépendant, démocratique, souverain et stable pour les Palestiniens.
D’autres pays se montraient également sensibles aux arguments des États-Unis. Le front des États appelés à soutenir les Palestiniens « présente des fissures en cascade » triomphait dimanche Jared Kushner. Paris, qui avait alterné le tiède et le tiède en « saluant » le plan américano-israélien, puis en rappelant son « attachement à la solution à deux États », ne semblait « pas très allant », selon un observateur européen, dans la défense du projet de résolution palestinien.
Ce document, mis en circulation la semaine dernière par la Tunisie et l’Indonésie, condamnait ouvertement le plan Trump. Il dénonçait notamment l’annexion des colonies de Cisjordanie, celle de la vallée du Jourdain, rappelait les concessions réciproques issues des accords précédents, soulignait le rôle de Jérusalem comme capitale des deux États, Israël et l’État de Palestine à créer.
Il relevait aussi que l’initiative américaine « s’écartait des termes de référence et des paramètres pour une solution juste, totale et durable du conflit israélo-palestinien », tel qu’ils sont consacrés par de multiples résolutions des Nations unies. Et insistait sur le fait qu’aucune solution ne peut être trouvée sans la participation simultanée des Palestiniens et des Israéliens.
Constatations et rappels inacceptables pour Washington. En particulier pour Jared Kushner qui ne cesse de répéter que « les habitudes du passé n’ont rien donné » et que « les gens sont fatigués de ce problème entre Israël et les Palestiniens ». En prévision d’un possible débat sur le texte palestinien, la délégation américaine avait donc proposé, avec le soutien de Londres, une multitude d’amendements qui faisaient disparaître des paragraphes entiers du texte, notamment ceux qui évoquaient les résolutions de l’ONU depuis 1967, le statut de Jérusalem-Est, ou l’illégalité de la colonisation et de l’annexion des territoires occupés.
En d’autres termes, c’est une résolution de soutien au plan américain qui aurait finalement été proposée au vote. Les Palestiniens n’avaient donc pas d’autre choix que de retirer leur texte et de s’en remettre à l’intervention de Mahmoud Abbas mardi devant le Conseil de sécurité pour exposer à la communauté internationale les raisons pour lesquelles ils refusent ce plan que rejettent officiellement la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine. « Nous rejettons le plan israelo-americain qui remet en question les droits légitimes des Palestiniens », a-t-il déclaré mardi en dénonçant « l’Etat gruyère » que propose le projet de la Maison Blanche, avant de demander à la communauté internationale de faire pression sur Israël. « Nous avons eu tort de renoncer à rendre publique notre résolution, estimait mardi un diplomate palestinien. Puisqu’elle ne pouvait pas être discutée dans sa version originelle à l’ONU, nous aurions dû la publier dans la presse. »
Mais le président palestinien, que Danny Danon – l’ambassadeur israélien à l’ONU – avait invité à « annuler son voyage » à New York, avant de souhaiter son remplacement, avec une courtoisie diplomatique discutable, n’en aura pas fini pour autant avec les grandes manœuvres diplomatiques. Sur la suggestion de Jared Kushner, à qui il n’a rien à refuser, le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi s’apprête à organiser au Caire une « conférence de paix » réunissant les amis des États-Unis dans la région, c’est-à-dire les Émirats arabes unis, Oman, Bahreïn, Israël, la Jordanie et l’Arabie saoudite. Les Saoudiens et les Jordaniens auraient déjà indiqué qu’ils n’y participeraient pas si les Palestiniens n’étaient pas invités. Mais pourquoi iraient-ils ? Pour approuver un plan qui a décidé sans eux de leur destin ? Pour être les témoins de la trahison de leurs « frères », qui scelle leur défaite ?
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