Publié le 25/7/2017 sur The Electronic Intifada
publié par le site belge Pour la Palestine, le témoignage de Jalal Abukhater est intéressant à plus d'un titre et d'abord parce qu'il est de Jérusalem et y vit. Agé de 22 ans, Jalal Abukhater est titulaire d’une maîtrise en relations internationales et en politique de l’Université de Dundee, en Écosse.
Au cours de mes 22 années de vie passées à Jérusalem, jamais je n’avais éprouvé avant ce jour une telle crainte de perdre ma ville bien-aimée. Nous, les Palestiniensde Jérusalem, devenons des étrangers sur notre terre.
Aujourd’hui, je me sens désarmé face à l’oblitération systématique de notre culture et de notre identité. Nous sommes en train de perdre notre caractère autochtone et de nous muer en errants désemparés et notre sentiment d’appartenance ne cesse de s’étioler.
Un phénomène similaire affecte l’ensemble de la Palestine, mais je ne puis m’empêcher de ressentir bien plus fortement ses effets ici même, à Jérusalem.
Ces deux dernières années, j’ai reçu la visite de divers groupes d’amis de l’étranger, que je loge habituellement chez moi, à Beit Hanina. J’essaie de leur faire découvrir Jérusalem du mieux que je le puis, tout en essayant vraiment de décrire la nature actuelle de la ville opprimée. L’existence des Palestiniens à Jérusalem est muselée, enchaînée et continuellement réprimée par la violence institutionnelle israélienne.
Sous les rues joliment pavées
Je suis réellement irrité d’entendre des touristes se répandre en louanges lors de leur visite de Jérusalem, du fait que je suis certain qu’ils n’ont pas vu la triste réalité couvant juste sous les rues joliment pavées avoisinant les murs de la ville ou derrière les lumières agressives des centres commerciaux, restaurants et bars tape-à-l’œil de la partie occidentale de la ville.
Ceci ne concerne pas que les touristes étrangers, mais aussi de nombreux Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza qui reçoivent les rares permis délivrés par les autorités israéliennes d’occupation et qui ont ainsi l’occasion de visiter la ville.
Jérusalem se fait étrangler lentement, loin des yeux de tous ceux qui ne sont pas familiarisés avec ses réalités plus profondes.
L’un de mes cousins, qui possède un magasin dans la Vieille Ville, me racontait que Jérusalem ne connaît ce déclin rapide que depuis les événements de 2014 et la guerre contre Gaza. Il faisait allusion aux 51 jours de l’offensive israélienne qui a tué plus de 2 200 Palestiniens, dont 550 enfants.
Il parlait également des guides israéliens qui refusent que leurs groupes s’arrêtent pour choisir les magasins, et ajoutait que ces guides exercent quasiment un monopole sur le tourisme dans la ville.
Ses descriptions concordent avec mes propres observations de ce que, lentement, la ville se ferme dans l’espoir d’être finalement débarrassée de sa population palestinienne.
Tous ceux qui ont l’expérience de la Vieille Ville pourraient observer la chose aussi en se baladant dans Souq al-Attareen – le marché aux parfums – ou à al-Wad Street.
La pire crainte des boutiquiers palestiniens réside désormais dans l’administration des taxes et dans la police israélienne qui les harcèlent en permanence afin de rendre la situation plus intolérable encore.
Les derniers espaces restants
Ces dernières années, je ne suis plus parvenu du tout à apprécier l’atmosphère de Jérusalem. Je perçois le déclin de la ville qui s’enfonce dans une pauvreté croissante, avec la disparition des vendeurs des rues, l’absence totale de vie nocturne et le manque de cafés et de lieux publics de rencontre.
Jérusalem meurt et, pourtant, les Israéliens s’obstinent à vouloir tuer peut-être le dernier symbole de l’existence des Palestiniens dans la ville.
Depuis le matin de la fermeture de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, suite à l’attentat du 14 juillet qui a tué deux hommes des forces israéliennes d’occupation et trois citoyens palestiniens d’Israël, j’ai essayé de me rendre moi-même sur le site.
J’ai fait la même chose presque chaque jour de cette semaine, mais sans succès, jusqu’à présent, en raison des détecteurs de métaux placés aux portes par Israël et auxquels les Palestiniens refusent de se soumettre, afin de protester contre la tentative par l’occupant de leur imposer un contrôle plus sévère.
Vendredi dernier, j’ai emporté un tapis de prière et je suis descendu afin de me rapprocher le plus possible d’al-Aqsa pour prier, bien que je ne sois pas un fidèle à la pratique régulière.
Je suis en colère contre les récentes mesures israéliennes concernant al-Aqsa, puisqu’elles ne signifient qu’une seule chose : vider al-Aqsa de son public.
L’enceinte est l’un des derniers espaces publics restants à Jérusalem et les Palestiniens y associent leur identité. Al-Aqsa est également un élément central de l’activité économique et sociale des Palestiniens à Jérusalem.
Imposer des portiques et des détecteurs de métaux constitue un effort de vider al-Aqsa en créant un obstacle supplémentaire pour tous ceux qui désirent y entrer. Les fidèles qui prient à al-Aqsa quittent leur travail ou leur domicile pendant moins de 30 minutes, ils y vont pour prier avec les autres, puis rentrent pour vaquer à leurs occupations habituelles.
D’autres entrent à al-Aqsa parce que c’est un raccourci entre les deux parties de la ville. Les commerçants palestiniens de Jérusalem dépendent pour une bonne part du nombre important de fidèles qui se rendent régulièrement à la mosquée.
Nous résisterons tous
Placer des détecteurs de métaux a créé un nouvel obstacle auquel les Israéliens espéraient simplement voir les Palestiniens s’habituer et ensuite se mettre à exécrer l’idée même de visiter al-Aqsa.
La même chose s’est produite avec le check-point de Qalandiya voici plusieurs années. Ce check-point est situé en Cisjordanie occupée, entre les villes de Ramallah et de Jérusalem. Ce qui a débuté comme un blocage routier contrôlé par une seule jeep de l’armée israélienne est devenu ce que c’est aujourd’hui – un énorme check-point transformant en enfer sur terre l’existence de toute personne amenée à le traverser.
Qalandiya a forcé les gens à changer leur existence et leur travail, à modifier leur vie tout entière afin de s’accommoder d’une nouvelle réalité sinistre imposée par l’occupant.
Le check-point de Qalandiya parvient à faire en sorte que les Palestiniens haïssent l’idée de le traverser pour se rendre à Jérusalem et, lentement, il en résultera que la ville se videra.
Je ne doute pas que les détecteurs de métaux placés par Israël ne fassent partie de son plan à long terme de s’assurer le contrôle total d’al-Aqsa, détruisant ainsi l’un des derniers symboles restants de la présence des Palestiniens à Jérusalem.
Lundi soir, après plus d’une semaine de protestations soutenues et de désobéissance civile de la part des Palestiniens, Israël décidait de retirer ses détecteurs de métaux, déclarant qu’il allait les remplacer par des caméras « intelligentes » afin de contrôler les entrées, une démarche que les autorités musulmanes de la ville examinent toujours en ce moment, après avoir affirmé qu’elles n’accepteraient aucun changement au statu quo.
Les habitants de Jérusalem ont forcé Israël à changer de cap, mais l’occupant ne renoncera pas à ses efforts d’imposer de nouvelles restrictions et de nous prendre notre ville tant que nous ne recevrons pas un soutien solide et permanent du monde entier.
L’esprit d’unité parmi les habitants de Jérusalem aujourd’hui a été extraordinaire. Des gens de toutes les couches de la société, des musulmans pratiquants et non pratiquants, et même des chrétiens, ont participé aux protestations directes contre la fermeture d’al-Aqsa. Tous, nous reconnaissons l’importance de cette bataille et, ainsi donc, nous résistons tous.